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"Tendances à la privatisation de l’éducation en République dominicaine : hétérarchie, gouvernance en réseau et nouvelles formes de philanthropie", par D. Brent Edwards Jr., Mauro C. Moschetti et Alejandro Caravaca.

Publié 16 octobre 2020 Mis à jour 16 octobre 2020
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La privatisation de l’éducation se manifeste sous des formes de plus en plus complexes, allant de la participation des acteurs privés à l’offre de services d'éducation à l’introduction d'une logique commerciale dans l’enseignement public. Il est certain que la diversité de ce phénomène représente un défi en ce qui concerne la garantie du droit à l'éducation. En outre, les États semblent perdre du terrain au regard des processus d’élaboration de politiques. Des acteurs aussi divers que des entreprises privées, des organisations non gouvernementales et des organismes philanthropiques ont en effet commencé à former des réseaux et des communautés axés sur l’élaboration de politiques. En d'autres termes, ces groupes ne se contentent pas seulement de s’immiscer dans le travail de l’État, mais finissent aussi par participer à la gouvernance.

Dans une étude menée récemment avec le soutien de l’Internationale de l'Éducation, nous avons examiné l’évolution de ces phénomènes en République dominicaine au cours des dernières années. Nous avons également analysé les circonstances qui ont permis à ces nouvelles formes de privatisation de gagner du terrain.

Notre étude révèle qu’après une longue période de désinvestissement dans le domaine de l’éducation, le gouvernement a recommencé à investir dans le financement et la planification sectorielle de l'éducation dans les années 2010. L'augmentation significative du financement de l'éducation enregistrée en 2012 vient appuyer ce constat, sans parler du renforcement des capacités techniques et des compétences politiques du ministère de l'Éducation, notamment dans les domaines de la planification et de l'évaluation. Néanmoins cette période coïncide paradoxalement avec le développement de nouvelles formes de privatisation qui ne sont plus axées sur l'offre de services d'éducation, mais plutôt sur la confiscation du contrôle du processus d'élaboration des politiques aux responsables du gouvernement.

La privatisation de la politique éducative

A cet égard, notre étude aboutit à deux conclusions importantes. D’une part, l’étude souligne la reconfiguration des structures du système éducatif en République dominicaine. Dans ce cas, la transition s’opère d’un système hiérarchique bien défini où le gouvernement occupe le rôle central dans l'élaboration de politiques vers un système organisé autour d’hétérarchies, c'est-à-dire de réseaux avec une hiérarchie horizontale, constituées d'acteurs non publics. Le gouvernement participe certes à ces réseaux, mais il ne représente qu’un maillon de la chaîne au lieu de contrôler toutes les instances impliquées. D’autre part, l'étude révèle également une reconfiguration de l’orientation et des objectifs de certains acteurs, notamment des acteurs privés. C'est le cas de la « nouvelle génération » d'organisations philanthropiques, comme Inicia Educación, qui s’éloignent de la philanthropie traditionnelle, axée sur la charité, pour passer au modèle de la « nouvelle philanthropie ». Ce nouveau modèle se traduit par une plus grande influence politique du secteur privé et l’abandon des activités caritatives en faveur de l'investissement financier dans des projets sociaux dans le but, plus ou moins explicite, de générer du profit.

Si les acteurs privés participaient déjà aux processus d'élaboration de politiques avant les années 2010, il est impossible de dissocier les développements actuels du récent essor du financement public de l'éducation qui a commencé en 2012. Cette situation paradoxale en apparence, dans laquelle l'augmentation du financement public va de pair avec l’implication accrue des acteurs privés dans l’élaboration des politiques, s’explique par le fait que l’augmentation des budgets publics accroit l'attractivité du secteur de l’éducation pour le secteur privé.

Nous espérons que les résultats de cette étude contribueront à susciter un débat critique sur les tensions qui existent entre, d'une part, le droit à une éducation de qualité pour tou·te·s et, d'autre part, l'implication des acteurs privés dans l’élaboration de politiques. Nous espérons surtout encourager le débat, dans une perspective de responsabilisation démocratique, sur les risques posés par des approches de gouvernance dans lesquelles les acteurs privés sont en mesure d’intervenir dans la définition des politiques publiques.

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L'étude est disponible ici en espagnol.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.