A l'occasion de la Journée mondiale contre le travail des enfants, la présidente de l'Internationale de l'Education, Susan Hopgood, donne un aperçu du travail des syndicats d'enseignants pour éradiquer le travail des enfants, de l'impact de la crise Covid-19 sur les enfants vulnérables, des leçons que nous avons tirées des crises précédentes et du chemin à suivre.
La pandémie Covid-19 pourrait-elle inverser les progrès constants réalisés dans l'éradication du travail des enfants ?
Les faits montrent que les crises à fort impact économique (qu'il s'agisse de conflits, de guerres, de catastrophes naturelles ou de pandémies) aggravent la prévalence du travail des enfants.
Les groupes marginalisés ont été les plus gravement touchés par la Covid-19. Il est donc très préoccupant de constater que la pandémie va pousser vers l'exploitation par le travail des enfants issus des minorités, des peuples autochtones, de groupes de personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, des enfants réfugiés ou migrants, des enfants handicapés, des enfants de familles monoparentales ou des familles dont un enfant est à la tête. Les familles des zones rurales et les millions de personnes qui dépendent de l'économie informelle seront également durement touchées. Plus de 60 % des travailleurs dans le monde travaillent dans l'économie informelle. Beaucoup ont déjà perdu leur source de revenu quotidien en raison des mesures de confinement imposées par les gouvernements en réponse à la pandémie Covid-19.
Nous savons que la pauvreté est la cause principale du travail des enfants. Le Secrétaire général des Nations unies a indiqué qu'entre 42 et 66 millions d'enfants de moins de dix ans pourraient tomber dans l'extrême pauvreté à cause du confinement. Ce chiffre s'ajoute aux 386 millions d'enfants qui vivent déjà dans l'extrême pauvreté, dont 152 millions sont officiellement impliqués dans le travail des enfants.
Quels sont les enseignements tirés des expériences précédentes de l'IE dans le cadre du VIH-SIDA et du virus Ebola ?
L'IE a acquis une expérience considérable dans le soutien aux organisations membres dans les pays touchés dans le passé par le VIH-SIDA et le virus Ebola. Lors de l'épidémie d'Ebola en 2014-2016, plus de 5 millions d'apprenants ont été touchés par les fermetures d'écoles. À l'époque, il y avait peu d'initiatives d'apprentissage à domicile. Les choses ont été différentes avec la Covid-19, les pays en développement ont agi rapidement pour mettre en place des programmes d'apprentissage à distance par la télévision et la radio dans des pays où l'internet n'est pas fiable et où la plupart des ménages n'ont pas l'électricité, sans parler des ordinateurs ou des téléphones portables.
Les filles ont été touchées de manière disproportionnée par le virus Ebola, car elles ont été moins nombreuses à retourner à l'école une fois l'épidémie terminée. Elles sont restées piégées dans l'environnement domestique, assumant des rôles de soutien. Les fermetures d'écoles ont renforcé les rôles traditionnels des genres, les filles restant le plus souvent à la maison et les garçons exerçant des activités génératrices de revenus en dehors de la maison.
Dans les villages de Sierra Leone gravement touchés par le virus Ebola, le taux de scolarisation des filles a chuté. La Sierra Leone a également connu une forte augmentation des grossesses chez les adolescentes et, selon les enfants interrogés, cette situation est directement liée à la fermeture des écoles. Les enfants isolés ne voient pas leurs amis et sont déconnectés des réseaux de soutien.
A mesure que les écoles rouvrent leurs portes après la Covid-19, les syndicats de l'éducation qui sont impliqués dans les projets de l'IE pour l'éradication du travail des enfants veilleront tout particulièrement à ce que des mesures de réinscription tenant compte des spécificités liées au genre soient mises en place.
Les syndicats appelleront également à la mise en place de mécanismes de protection sociale. La tragédie du VIH-SIDA a montré que les séparations familiales et le taux de mortalité des personnes qui s'occupent des enfants les rendent vulnérables à la pauvreté, au travail des enfants et aux abus. L'accès à l'école apporte aux enfants la sécurité et un sentiment d'appartenance. La scolarisation leur permet également d'acquérir les compétences nécessaires pour obtenir un emploi décent plus tard dans la vie.
Dans les 13 pays où l'IE a mis en place des projets d'éradication du travail des enfants, les syndicats de l'éducation s'attendent-ils à ce que tous les enfants retournent à l'école ?
Il est encore trop tôt pour le dire. Les projets "Zones libres de tout travail des enfants" ont eu un impact considérable. En Albanie par exemple, le projet s'est attaqué aux discriminations et exclusions profondément enracinées dans la société auxquelles sont confrontées les minorités rom et égyptienne. Au Mali, les directeurs des 11 écoles du projet de la région d'Ouroun ont fait état de 1.555 abandons scolaires pour l'année scolaire 2013/2014. Pour l'année 2018/2019, aucun abandon n'a été enregistré dans ces écoles.
L'extrême pauvreté résultant du confinement lié à la Covid-19 rendra plus difficile pour les familles pauvres de couvrir les frais de scolarité, les frais d'inscription, les uniformes, les transports... les coûts directs et indirects de l'éducation. Nous savons que même le travail occasionnel des enfants a un effet négatif sur la fréquentation et les résultats scolaires.
Les enfants et les familles perdent également l'habitude d'aller à l'école. Les personnes désespérées qui s'occupent des enfants recourent à des stratégies de survie négatives, notamment le travail des enfants et le mariage des enfants. Les enfants risquent d'être soumis au travail forcé et au trafic à des fins de travail, par exemple dans des ateliers clandestins. Les familles rurales se déplacent vers les villes.
La réglementation sur le travail des enfants est moins susceptible d'être appliquée par les gouvernements en période de difficultés économiques. Il est également à craindre que les gouvernements subissent des pressions de la part des employeurs pour affaiblir la législation du travail. Lorsque les protections sociales et les services sociaux sont réduits, et que les inspections sont moins nombreuses, le recours au travail des enfants est encore plus facile pour les employeurs sans scrupules.
La pauvreté et la récession économique mondiale dont nous sommes témoins sont-elles les seules causes du travail des enfants ?
La pauvreté elle-même est la conséquence d'un système où le profit économique prime sur le bien-être humain. La pauvreté est le résultat de facteurs interconnectés tels que l'inégalité, la discrimination, la ségrégation, le colonialisme, le manque d'éducation de qualité, la prévalence de l'informalité et l'accès limité à un travail décent, la faible participation des syndicats et des organisations citoyennes dans la prise de décision.
Les personnes et les familles vulnérables qui ont perdu leur emploi, y compris dans l'économie informelle, qui ont un besoin urgent de fonds pour la survie du ménage mais qui n'ont pas d'épargne et un accès limité à la protection et au soutien de l'État, sont susceptibles d'être la proie des prêteurs qui leur accordent des crédits à des conditions constituant une servitude pour dettes. Les réseaux criminels utilisent aussi activement cette crise mondiale pour exploiter les vulnérabilités afin d'augmenter le profit financier que le travail forcé et la traite des êtres humains génèrent.
Que font l'IE et ses organisations membres pour lutter contre le travail des enfants ?
Nous allons poursuivre et renforcer une double approche de syndicalisation et de défense des droits. Au niveau local, des enseignants et des directeurs d'école sont formés en collaboration avec tous les acteurs des communautés éducatives. L'objectif est de comprendre les lois qui lient l'enseignement obligatoire et l'âge minimum d'admission au travail, mais aussi de rendre l'école attrayante et de convaincre les parents que l'école est aussi un lieu d'apprentissage social. Nous constatons quelques bons résultats en termes de changement de la perception sociale du travail des enfants. Au début de nos projets, dans tel ou tel village, le travail des enfants est considéré comme normal, mais après quelques années de sensibilisation, le travail des enfants n'est plus accepté et la fréquentation scolaire est la nouvelle normalité.
Le plaidoyer est mené par l'IE aux niveaux international et national afin de convaincre les gouvernements et les communautés de donateurs d'investir dans une éducation publique de qualité. Dans les communautés locales, les investissements se traduisent par un plus grand nombre d'enseignants, y compris des enseignantes qui servent de modèles. Il faut plus d'enseignants et des salles de classe supplémentaires pour faire baisser le ratio enseignant/élèves. Des installations sanitaires améliorées, avec des toilettes et des vestiaires séparés pour les filles - afin qu'elles ne ratent pas d'école en raison de leurs menstruations - améliorent également les écoles.
L'IE aide ses organisations membres à plaider pour une application stricte des lois sur le travail des enfants et l'enseignement obligatoire. Les syndicats de l'éducation surveilleront de près tant les inscriptions que la rétention scolaire. Le suivi des traumatismes psychologiques doit être une priorité, avec une formation spécifique pour les enseignants et les directeurs d'école. Les projets de l'IE comprennent un volet sur l'environnement scolaire positif, le comportement non violent et l'enseignement centré sur l'élève. Tous les enfants, en particulier ceux issus de communautés marginalisées, ceux qui sont libérés du travail des enfants et ceux qui présentent un déficit d'apprentissage doivent se sentir accueillis par chaque enseignant.
Les employeurs et les autorités locales ont également un rôle à jouer, afin de garantir le respect des lois et une tolérance zéro pour le travail des enfants dans les communautés. Dans la lutte contre le travail des enfants, la clé du progrès est aussi d'impliquer les syndicats dans les stratégies.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.