La fermeture des écoles a été saluée comme l’une des mesures d’atténuation les plus efficaces, jusqu’à présent, en vue de stopper la propagation rapide de la COVID-19. Pour des millions d’apprenant·e·s et d’éducateur·trice·s, l’apprentissage a dû se poursuivre par le biais de l’enseignement à distance d’urgence, qui implique l’enseignement en ligne. Les éducateur·trice·s se retrouvent ainsi confronté·e·s à de nouveaux défis dans les pays en développement comme le Zimbabwe, où l’enseignement en ligne est peu répandu. Les syndicats de l’enseignement doivent saisir cette occasion pour promouvoir les droits et la dignité qui reviennent aux éducateur·trice·s, à mesure que le travail se réorganise dans le contexte des confinements imposés par les États.
La pandémie de COVID-19 s’accompagne de menaces similaires pour les individus, où qu’ils vivent à travers le monde, et suscite dès lors des interventions et des réponses similaires en différents points du globe. La distanciation physique, le lavage des mains au savon pendant au moins vingt secondes, le fait de tousser ou d’éternuer dans l’intérieur de son coude et les mesures de confinement partiel ou total du pays ont été présentés comme les stratégies d’intervention les plus efficaces pour réduire les nouveaux cas d’infection due au nouveau coronavirus. Diverses nations ont mis en place des stratégies nationales de riposte sur la base des pratiques précédemment mentionnées. Le Zimbabwe a d’abord imposé un confinement de 21 jours qui a débuté le 30 mars 2019, avant de le prolonger de 14 jours supplémentaires et, finalement, pour une durée indéfinie. Le confinement a entraîné la fermeture des écoles, des établissements polytechniques et des universités, entre autres secteurs non-essentiels. La fermeture brutale des universités a fait naître plusieurs défis pour les éducateur·trice·s comme pour les apprenant·e·s. Au Zimbabwe et en Afrique du Sud, les universités ont été fermées alors même qu’elles venaient d’ouvrir (l’année scolaire démarrant en février) et l’enseignement dispensé a donc été très limité. En réponse, la plupart des universités se sont tournées, à la hâte, vers « l’enseignement à distance d’urgence », et plus précisément vers un processus d’apprentissage en ligne, mais sans préparation adéquate. Du fait de cette migration soudaine, apparemment « neutre et sans valeur », vers un enseignement à distance d’urgence, impliquant d’enseigner et d’échanger avec les élèves par le biais de médias Internet, les éducateur·trice·s ont dû trouver des solutions pour enseigner depuis leur domicile. Après quelques jours à peine, un certain nombre d’éducateur·trice·s et de syndicalistes se sont plaint·e·s de ce nouveau mode de fonctionnement qui ne tenait pas compte de leurs antécédents, de leur genre et des réalités de leur vie quotidienne. La situation socio-économique actuelle au Zimbabwe ne permet pas aux éducateur·trice·s de basculer en toute simplicité vers la pédagogie en ligne. Le passage à l’enseignement en ligne dans le contexte zimbabwéen a déboussolé la plupart des éducateur·trice·s, mettant à mal la stratégie tant annoncée du « télétravail ».
La plupart des éducateur·trice·s se plaignent d’une connexion erratique à Internet qui a rendu presque impossible l’enseignement à distance d’urgence. Un certain nombre résident dans des zones périurbaines qui dépendent d’un réseau Internet à bas débit peu fiable. Dépourvus de moyens de connexion à l’Internet fiables, à un moment où les déplacements sont proscrits et le réseau Internet de leur établissement inaccessible, la migration vers l’enseignement basé sur Internet ne s’est pas faite sans heurts pour les éducateur·trice·s. Après plusieurs semaines de confinement, certain·e·s n’avaient pas même pu renouer le contact avec leurs élèves. En outre, le coût des données est hors de portée pour la plupart des Zimbabwéen·ne·s, y compris les enseignant·e·s universitaires. En raison du coût élevé de ces données, il est quasiment impossible de télécharger des vidéos, d’envoyer des cours audios et de partager des supports pédagogiques en ligne. Les éducateur·trice·s se retrouvent donc en difficulté, tiraillés entre leur devoir et la situation économique qui ne leur permet pas de dispenser leurs services aux apprenant·e·s.
La transition vers l’enseignement à distance d’urgence s’accompagne de nouveaux défis pour les éducateur·trice·s. Pour un certain nombre, l’enseignement en ligne constitue, dans une certaine mesure, une atteinte à leur vie privée en raison des vidéos qu’il∙elle∙s sont amené·e·s à prendre dans l’intimité de leur domicile. En effet, certaines difficultés se posent dans le contexte de l’enseignement à distance. Comment les élèves réagiront-ils aux photos accrochées aux murs et au type de décoration intérieure observé à l’arrière-plan ? Si l’enseignement à distance révèle une multitude de renseignements personnels au sujet des éducateur·trice∙s, il les rend également vulnérables aux trolls et aux cyberharceleur∙euse∙s qui peuvent ainsi utiliser des détails tels que l’adresse IP du réseau domestique et d’autres informations personnelles susceptibles d’être exploitées pour harceler et déstabiliser les éducateur·trice·s. Par ailleurs, un certain nombre de collègues éducateur·trice·s ne se sentaient pas à l’aise pour enseigner depuis leur domicile, qui ne leur permet pas un tel luxe. Très peu disposent de bureaux à domicile, où il∙elle∙s peuvent travailler. L’absence de lieux de travail décents a rendu cette période de migration insupportable et impopulaire. Dans une conversation, un collègue a insisté sur ce point : « Le télétravail est envisageable, si toutefois les conditions à domicile y sont propices ». Les différentes configurations familiales influent en effet sur le fait que les enseignant·e·s adhèrent pleinement ou non à l’enseignement à distance.
Enfin, la décision de migrer vers l’enseignement à distance d’urgence affecte les éducateurs et les éducatrices différemment. Pour les éducatrices, l’enseignement depuis le domicile pose des défis sans précédent. Tout en travaillant de chez elles, elles doivent jongler entre les tâches domestiques, la prise en charge de leurs enfants, l’éducation à domicile de ces derniers et leur travail (enseignement en ligne). Également, les hommes et les femmes perçoivent le télétravail différemment. Avec leurs enfants dans les parages, les éducatrices trouvent peu de temps pour préparer le contenu en ligne qui sera adressé aux apprenant·e·s.
Les expériences et les difficultés rencontrées par les éducateur·trice·s dans le contexte de l’enseignement en période de confinement posent de nouveaux enjeux, sur lesquels les syndicats d’enseignants des pays en développement doivent commencer à mener une réflexion approfondie. La prolongation du confinement pour une durée indéfinie, dans le cas du Zimbabwe, a fait du télétravail et de l’enseignement à distance la « nouvelle normalité ». Les syndicats d’enseignants doivent faire progresser et promouvoir les intérêts de leurs membres en ces temps de changement. Pour que les éducateur·trice·s puissent enseigner depuis leur domicile, les employeurs doivent fournir l’infrastructure nécessaire pour soutenir la migration vers l’enseignement en ligne. Dans les pays où le coût des données est élevé et la connectivité limitée, les syndicats doivent faire pression auprès des employeurs en faveur de la mise en place de créneaux horaires permettant aux éducateur·trice·s d’accéder aux bureaux et au réseau de l’établissement. Les syndicats d’enseignants doivent réfléchir sérieusement à la modalité d’enseignement en ligne et à la manière dont celle-ci est interfère avec la vie privée et les libertés académiques. Le respect de la vie privée des éducateur·trice·s est limité en raison de la traçabilité des copies numériques qui permet de remonter jusqu’à leur foyer, les mettant eux∙elles-mêmes en danger, ainsi que les membres de leur famille. Quel est le meilleur moyen de protection des éducateur·trice·s face aux pirates informatiques, aux trolls et aux cyberharceleurs ? La plupart des établissements privilégient les systèmes de gestion de l’apprentissage qui sont entièrement sous leur contrôle, ce qui limite dans une certaine mesure les libertés académiques de choisir quoi enseigner et comment délivrer le contenu. De plus en plus de contenu est soumis à l’examen d’administrateur∙trice∙s habilité∙e∙s à supprimer et reformater le contenu choisi par les éducateur·trice·s. Enfin, à la réouverture des écoles, les syndicats devront prendre part au dialogue sur les mesures de sécurité à mettre en place afin de protéger les apprenant·e·s et les éducateur·trice·s face à une nouvelle vague de pandémie.
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