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En Argentine, le premier cas de coronavirus COVID-19 a été détecté le 3 mars 2020. Le 19 de ce même mois, le pays a décrété une « quarantaine totale », après avoir enregistré 128 personnes infectées sur l’ensemble de son territoire. Dans ce cadre, le gouvernement a adopté un ensemble de mesures sanitaires, sociales et économiques pour ralentir au maximum la progression du virus : fermeture des frontières ; isolement social ; mise en indisponibilité des personnes âgées de plus de 60 ans, des femmes enceintes et des autres personnes à risque ; prime exceptionnelle pour les personnes retraitées et allocation universelle pour les enfants ; de même que la suspension des cours.

S’agissant de l’éducation, la suspension des cours a néanmoins bénéficié de mesures complémentaires telles que le maintien des cantines scolaires et/ou la distribution de colis alimentaires en fonction de la situation des populations et le lancement d’un programme d’accompagnement pédagogique du personnel enseignant, des élèves et des familles afin de pouvoir assurer la continuité de l’enseignement et de l’apprentissage à domicile. Ce programme s’articule autour de contenus et de ressources à transmettre via le principal portail créé par l’État (la plateforme en ligne, en espagnol, « Seguimos educando» – Nous continuons à enseigner) et via d’autres moyens tels que la télévision publique, la radio nationale, les radios communautaires et la distribution de brochures imprimées, adressées en particulier aux franges les plus défavorisées de la population, rencontrant les plus grandes difficultés sociales et de communication.

Les premières réponses immédiates de l’État et de l’ensemble de la communauté éducative en vue de continuer à garantir le droit à l’éducation accompagné d’un soutien pédagogique ont été suivies de réflexions sur la manière de maintenir ce soutien, dans quelles conditions et avec quelles ressources.

Les tensions qui existent aujourd’hui entre le besoin de soutien pédagogique et les conditions de travail qui permettent de l’assurer laissent entrevoir, d’une part, que certaines convergences et consensus commencent à se dessiner et que, d’autre part, de nouvelles interrogations ou questions commencent à se poser, entre autres :

  • Les écoles et les enseignant·e·s sont irremplaçables.
  • Est-il nécessaire de prévoir la même quantité de matières scolaires ?
  • Comment faire pour éviter d’accentuer davantage encore les inégalités parmi les élèves qui ne bénéficient pas des mêmes conditions sociales et de communication ? »
  • Si nous enseignons à distance, pourquoi parler de récupération des jours ?
  • Comment organiser les évaluations ?

Les contributions de l’enseignement au travers du télétravail et de l’utilisation des ressources numériques se révèlent très précieuses en cette période exceptionnelle que nous traversons. Cependant, ce télétravail ne doit pas se réduire à une fonction mécanique adaptée pour reproduire, selon d’autres modalités, un programme de contenus et de matières prévu pour être enseigné dans des conditions normales. Au contraire, cette façon circonstanciée de travailler à domicile devrait plutôt être perçue comme une excellente occasion de mieux prendre conscience de la nécessité de toujours garantir des conditions suffisantes dans chaque situation, et comme une opportunité de repenser progressivement les processus d’enseignement et d’apprentissage.

Le contexte que nous connaissons aujourd’hui a notamment entraîné une transformation drastique de la journée d’enseignement et de travail, en raison de la suspension des cours et des restrictions inhérentes à la quarantaine sanitaire actuelle. Outre un climat d’inquiétude et d’angoisse généralisé face à la pandémie, le basculement vertigineux vers un mode de soutien pédagogique virtuel génère certaines situations de stress à la fois parmi le personnel enseignant, la direction des établissements scolaires, les élèves et les familles.

Cette situation inédite montre clairement que la production de contenu virtuel nécessite plus de temps que celui habituellement consacré à la préparation des cours dispensés en classe. Tout comme il est nécessaire de posséder au minimum un ordinateur et une connexion adéquate, il est nécessaire que les élèves qui possèdent des équipements aient accès à une connexion, ce qui ne va pas de soi. Souvent, le temps et les espaces appropriés pour travailler et se concentrer à domicile font défaut. Sans compter les problèmes de santé causés par une trop longue exposition aux écrans, un phénomène qui touche l’ensemble de la société et ne cesse de s’aggraver. Parallèlement, on observe une désorganisation considérable des horaires habituels réglementés et établis par les normes pédagogiques, cédant la place à un exercice tacite de la profession full time en raison du bouleversement de la disponibilité de chacun·e dû aux circonstances actuelles : consultation des élèves et des parents à tout moment, directives multiples et prolifération des messages et des exigences par différents moyens.

Il convient également de souligner que, aujourd’hui, nombre de responsables d’établissement scolaire, aux côtés des assistant·e·s scolaires et de milliers d’enseignant·e·s, se rendent dans leurs écoles pour aider à l’organisation des cantines scolaires et/ou à la distribution des colis alimentaires. 62 % des enseignant·e·s exercent deux fonctions, tandis que plus de la moitié d’entre eux·elles travaillent dans deux ou trois écoles, voire davantage, ce qui implique une interaction avec plusieurs groupes d’élèves, diverses communautés éducatives et différentes autorités (Enquête sur la santé, CTERA/2019).

Tout cela, dans un contexte de récession où, au cours de ces quatre dernières années de politique macriste, le budget de l’éducation a été considérablement réduit. Dans le cadre de cet ajustement, l’Institut national de formation des enseignant·e·s a enregistré une perte de 65 % de ses ressources et, en conséquence, les formations diplômantes de troisième cycle dans les environnements virtuels, qui auraient pu s’avérer particulièrement utiles aujourd’hui, ont été supprimées, au même titre que le programme « Conectar Igualdad » (Connecter l’égalité), impliquant la suspension de la distribution des équipements et l’arrêt des mises à jour en raison du licenciement des technicien·ne·s sous le gouvernement précédent.

Les outils technologiques sont très utiles s’ils sont considérés comme des moyens d’accès à l’information et à la production de certains types de connaissances. Mais ils ne peuvent en aucun cas remplacer le rôle de l’école et de l’État, leur principale fonction étant de contribuer à une refonte des processus d’enseignement et d’apprentissage dans le présent et à l’avenir.

Cette reconnaissance ne peut exister sans se demander si ce que nous sommes en train de construire finit par faire pencher la balance du côté de l’enseignement public en tant que droit social ou du côté de la privatisation et de la commercialisation ; si cet équilibre penche du côté de l’amélioration des conditions de travail des enseignant·e·s et des écoles ou du côté de la précarité et de la surexploitation du travail ; ou si ce même équilibre penche du côté des plus démuni·e·s ou ne fait que creuser les inégalités.

La balle est lancée. Faisons tout pour qu’elle retombe dans le bon camp.

Remarque :cet article est basé sur une publication parue précédemment dans El Cohete A La Luna(disponible ici, en espagnol).

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.