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« La Banque mondiale revoit sa politique de financement pour la majorité des écoles privées à vocation commerciale », par David Edwards.

Publié 9 avril 2020 Mis à jour 12 janvier 2022
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Revirement politique d’envergure, le président de la Banque mondiale David Malpass a accepté l’introduction de plusieurs réformes majeures, parmi lesquelles le gel officiel de tous les investissements directs ou indirects des écoles préprimaires, primaires et secondaires payantes du secteur privé. Cette question cruciale pour l’Internationale de l’Éducation est, depuis de nombreuses années, au cœur de ses revendications auprès de la Banque mondiale.

Elle est aussi un axe majeur de la campagne Réponse mondiale, qui a permis aux organisations membres, aux régions et au secrétariat de l’IE de travailler et d’enquêter ensemble pour dénoncer les activités des entreprises commerciales privées. À titre d’exemple, des travaux ont été menés en Ouganda et au Kenya, deux pays où Bridge International Academies a mené des activités illégales et violé les normes et réglementations du travail.

Dans la mesure où la Banque mondiale reste le plus important bailleur de fonds pour l’éducation dans les pays en développement, l’IE a suivi de près ses activités. Nous avons, à maintes reprises, reproché publiquement à la Banque mondiale de promouvoir la privatisation, de porter atteinte à la communauté enseignante et aux systèmes d’éducation de qualité, et nous avons tenté d’engager le dialogue, notamment dans le cadre de réunions avec les responsables de l’IE et au travers de lettres, de rapports et d’autres méthodes. La Banque mondiale a non seulement continué à apporter son soutien politique et financier aux entreprises commerciales privées actives dans le domaine de l’éducation, telles que Bridge International Academies, mais elle l’a renforcé. Plusieurs organismes nationaux d’aide à l’étranger, comme le département du Développement international du gouvernement britannique (DFID), l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et d’autres bailleurs de fonds privés, se sont joints à la parade. Il s’agissait d’une attaque idéologique dirigée contre l’éducation publique, motivée par le profit.

Deux facteurs ont modifié la donne. Primo, une majorité de candidat·e·s ouvert·e·s aux organisations syndicales a été élue à la Chambre des représentant·e·s américaine lors des élections de mi-mandat en 2018. Ce revirement a eu pour effet de transférer les principales commissions à des membres plus favorables à la position des syndicats. Secundo, la crise du COVID-19 a nécessité un large consensus entre la Chambre, le Sénat et la Maison-Blanche pour l’adoption d’un plan d’aide de 2.000 milliards USD. Les positions de la Banque mondiale ont évolué au cours des discussions entre la Commission des services financiers de la Chambre, présidée par Maxine Waters (Californie), et le secrétaire au Trésor des États-Unis Steven Mnuchin.

Ces démarches étaient le reflet d’une prise de conscience chaque jour plus importante au niveau mondial des dommages causés par les services d’éducation proposés par des entreprises commerciales privées. Ces préoccupations croissantes ont notamment abouti à une décision du Parlement européen et à un accord du conseil d’administration du Partenariat mondial pour l’éducation (GPE).

Les politiques et autres recommandations de la Banque mondiale ont longtemps encouragé la prestation de services d’éducation et d’autres services publics par des acteurs privés. Bien que l’institution se soit engagée officiellement à soutenir les Objectifs de développement durable, la plupart de ses politiques et initiatives vont à l’encontre du consensus mondial.

L’aide financière accordée aux entreprises d’éducation privées à but lucratif provient en grande partie de la Société financière internationale (IFC) du Groupe de la Banque mondiale, chargée de l’octroi des prêts au secteur privé. En vertu de l’accord signé avec les États-Unis, l’IFC s’engage à geler toutes les aides aux écoles privées payantes, y compris les investissements directs, indirects et les services de consultation.

Outre ces réformes d’importance cruciale, la Banque mondiale a également convenu d’un processus, à la fois interne et externe, qui pourrait nous permettre de persuader cette dernière de revoir ses priorités politiques pour l’éducation. La Banque mondiale dispose d’un Groupe indépendant d’évaluation qui sera chargé d’évaluer l’aide accordée par l’IFC à l’enseignement payant, en s’appuyant sur des critères tels que « les résultats scolaires, l’accès, la pauvreté et les inégalités ». Les discussions futures avec la Banque mondiale seront facilitées par les travaux de ce groupe indépendant.

Il s’agit d’une victoire majeure pour l’Internationale de l’Éducation. Au travers de notre stratégie concertée, nous avons mobilisé les organisations membres et les régions de l’IE, en particulier en Afrique et en Amérique latine, nous avons intensifié les pressions sur le Congrès et les administrations successives au travers de l’AFT et de la NEA et nous avons continué à apporter le soutien indéfectible des membres du Bureau restreint et du Bureau exécutif de l’IE, ainsi que l’aide inestimable du bureau de la CSI/Global Unions à Washington.

Rappelons toutefois que les réformes qui ont été décidées dépassent le cadre de l’éducation.

Le mouvement syndical international s’oppose au célèbre rapport Doing Business depuis sa création en 2003. Ce rapport part du principe que quasiment toutes les protections sociales constituent une barrière aux investissements et aux activités des entreprises.

Notre opposition concernait principalement l’indice « Embauche des travailleur·euse·s », soutenant que bon nombre de droits et protections des travailleur·euse·s portent préjudice à la pratique des affaires. L’utilisation de cet indice a été supprimée en 2010 à la suite de l’opposition publique et d’une révision interne de la Banque mondiale. Les données ont toutefois continué à être collectées, en attendant de pouvoir refaire surface. La Banque mondiale a ensuite accepté de suspendre la collecte des données pour cet indice supprimé. La seule autre décision concrète qui a été prise concernant le rapport Doing Business consistera à examiner l’indice « Paiement des impôts ».

Ce n’est pas suffisant. L’IE, les autres Fédérations syndicales internationales et la CSI souhaiteraient que ce rapport soit supprimé. D’une part, la quasi-totalité des réglementations applicables aux entreprises, limitant leurs activités ou leur coûtant de l’argent, y sont perçues comme des facteurs dissuasifs pour l’investissement et l’activité économique. De l’autre, les droits, ainsi que les progrès sociaux et environnementaux, y sont dénigrés et perçus comme des facteurs handicapants pour la croissance et la prospérité.

Si nous devons continuer à faire preuve de vigilance vis-à-vis des politiques et activités de la Banque mondiale, tant au niveau central que national, il s’agit déjà d’une grande victoire. Un regain d’espoir en cette sombre période pour notre avenir après la pandémie.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.