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« Les changements qu’induira la pandémie de COVID-19 dans l’éducation dépendent de l’attention donnée aux réponses éducatives aujourd’hui », par Fernando M. Reimers.

Publié 9 avril 2020 Mis à jour 9 avril 2020
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La pandémie qui ravage la planète va probablement provoquer les perturbations les plus graves pour les possibilités d’apprentissage depuis au moins un siècle. Les études et les vies des élèves actuellement scolarisés seront impactées de multiples manières, dont certaines restent à découvrir. Conséquence la plus immédiate, parce que les mesures nécessaires de distanciation physique interrompront – ou ont déjà interrompu – leur possibilité de se rendre à l’école, les élèves apprendront moins que ce qui aurait été le cas sans la crise. En outre, ils oublieront une grande partie de ce qu’ils ont appris au cours de cette année académique et connaîtront une variante du phénomène bien étudié de la « perte estivale », si ce n’est que cela ne se passera pas en été. Les systèmes scolaires et les gouvernements tenteront de mettre en place des modalités d’enseignement alternatives au cours de la période de distanciation sociale nécessaire, mais celles-ci fonctionneront probablement bien pour les enfants dont les parents sont mieux éduqués, qui ont d’autres avantages sociaux et qui ont accès à des ressources, notamment une connexion à internet et du matériel pour se connecter, de sorte qu’ils pourront continuer à bénéficier de possibilités d’apprentissage structurées. Pour de nombreux enfants dépourvus de tout cela, la période de distanciation physique conduira probablement à des possibilités d’apprentissage très limitées.

De plus, la pandémie affectera différemment les enfants de ménages différents, en frappant davantage les enfants pauvres et marginalisés. Ils risqueront davantage de faire les frais des perturbations économiques provoquées par la pandémie ; ces enfants et leurs parents seront les plus susceptibles d’être victimes d’infections parce que leurs conditions de vie sont telles qu’elles rendent les infections plus probables, et ils auront un accès plus limité aux soins de santé en cas d’infection.

Dans la plupart des pays, les écoles publiques ont été créées il y a si longtemps que très peu de personnes vivant aujourd’hui se souviennent de la vie sans elles. Peu de gens savent, pour l’avoir vécu directement, que l’une des fonctions de l’école publique était de donner les mêmes chances à des enfants nés dans des milieux différents. Dans un passé récent, toute discussion sur la différence que les établissements scolaires faisaient réellement pour les individus ou les sociétés était un exercice intellectuel, parce qu’aucune société n’a décidé de mener l’expérience absurde de tester l’importance réelle des écoles en les fermant. La pandémie montrera à quoi ressemble un monde dans lequel ces établissements ne sont pas en mesure de fonctionner comme ils ont été conçus pour le faire.

Il ne fait aucun doute que pour certains enfants, les perturbations causées par la pandémie seront une période d’expérimentation, de plus grande autonomie dans leur propre apprentissage, de degré plus élevé d’autonomie dans leur organisation, d’expérience de collaborations productives entre leurs enseignant·e·s, qui les guident par l’intermédiaire de l’enseignement à distance, et leurs parents. Mais ceux-là ne représenteront pas la majorité des enfants du monde, ils ne seront même pas majoritaires dans les sociétés les plus riches.

Pour la grande majorité des enfants qui perdent des possibilités d’apprentissage en raison de la pandémie, il sera difficile de récupérer ces pertes et ce sera de plus en plus dur à mesure que l’isolement physique par rapport aux autres élèves et enseignant·e·s se prolongera dans le temps. Le désavantage que ces pertes génèrent sur le plan éducatif entraînera un désavantage éducatif plus marqué et, en fin de compte, un désavantage économique et social. Étant donné que de larges franges de la population connaîtront ces pertes, les sociétés vont souffrir car leur productivité diminue.

Étant donné que les disparités éducatives aggravent d’autres disparités économiques et sociales et que les inégalités structurelles sont plus prononcées, les écarts entre les nantis et les autres vont considérablement se creuser. Le fait que les enfants des familles pauvres voient leurs possibilités d’apprentissage nettement plus réduites pendant la pandémie que les enfants des familles riches et que leur vie soit sensiblement plus perturbée est évidemment contraire aux fondements mêmes de la démocratie. Dès lors, à mesure que l’idée que c’est effectivement ce qui se passe gagne du terrain, cela sapera la confiance dans la démocratie et ses institutions, qui est déjà faible et en recul dans bon nombre de pays.

C’est un tableau sombre de la façon dont la pandémie de COVID-19 va façonner le paysage éducatif et l’avenir pour les prochaines décennies. À l’instar de l’impact sanitaire de la pandémie, son impact sur l’éducation dépendra de la manière dont les individus réagiront et des actions ou des omissions des élèves, des parents, des enseignant·e·s, des chef·fe·s d’établissement et des responsables du système avant et pendant la pandémie. Certaines réponses atténueront probablement davantage l’impact sur l’éducation, tandis que d’autres aggraveront les effets négatifs de la pandémie. La pire des réponses des éducateur·trice·s serait d’ignorer l’importance de la pandémie pour l’éducation, de prétendre que ce n’est pas un problème éducatif, qu’il ne durera pas ou que les conséquences sur l’éducation seront minimes. C’est la réponse la plus susceptible de provoquer de graves perturbations dans l’éducation de la plupart des enfants et les plus fortes disparités dans les possibilités d’apprentissage.

Dans les pays où les chef·fe·s d’établissement, les responsables de district ou les responsables du système font l’autruche, comme c’est encore le cas aujourd’hui de nombreux commissaires chargés de l’éducation et responsables de district aux États-Unis et dans d’autres pays, ils vont devoir se démener pour tenter de s’adapter à l’enseignement à distance lorsque les autorités de santé publique et les responsables gouvernementaux concluront que le nombre de décès ou les risques d’effondrement des infrastructures de santé sous le poids du nombre élevé de personnes victimes d’une forme grave d’infection les contraignent à fermer les établissements scolaires. Une réponse plus adaptée serait d’utiliser le temps disponible avant que les mesures d’isolement physique soient nécessaires pour prévoir la poursuite des cours en utilisant des modes d’enseignement alternatifs pendant ce qui sera probablement une longue période de distanciation sociale.

Afin d’animer et de guider le processus de réflexion sur les réponses éducatives à apporter, Andreas Schleicher et moi-même avons rédigé un rapport intitulé A framework to guide an education response to the COVID-19 Pandemic of 2020(en anglais). Prenant appui sur une évaluation rapide des besoins éducatifs et des réponses émergentes dans quatre-vingt-dix-neuf pays étudiés la semaine dernière, le rapport recense les besoins les plus marqués que les réponses devraient aborder, ainsi que les domaines qui se heurteront probablement à davantage de difficultés de mise en œuvre. Le rapport examine également les réponses éducatives apportées par différents pays à la crise. Sur la base d’une analyse des données provenant de l’édition la plus récente de l’enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves de l'Organisation de coopération et de développement économiques, le rapport décrit aussi les défis auxquels doivent faire face divers systèmes éducatifs pour pouvoir utiliser l’enseignement en ligne comme mode d’enseignement alternatif.

Nous espérons être provocateur∙trice∙s et inciter les enseignant·e·s et les responsables de l’éducation, à différents niveaux de pouvoir, tant dans le secteur public que privé, à reconnaître la gravité des risques que la pandémie représente pour l’éducation et à assumer la responsabilité de mettre en place un mécanisme qui soit aussi efficace et équitable que possible, tout en relevant ce défi d’adaptation.

Une chose est sûre à propos des défis d’adaptation : ils ne peuvent pas être résolus de la même manière que l’on résout les problèmes dans un monde prévisible et stable, lorsque des solutions techniques existent pour les problèmes qui surgissent. Les problèmes d’adaptation requièrent un apprentissage rapide, de l’innovation et une prise de risque. Ils réclament une volonté de sortir de sa zone de confort, une volonté de participer, une capacité de collaborer et, surtout, une réflexion claire sur ce qui est vraiment important.

Ce qui est véritablement important en cette période de crise – urgent en fait –, c’est de préserver une génération entière d’élèves contre le risque le plus important pour leurs possibilités d’apprentissage que ces élèves, leurs parents et leurs grands-parents ont connu dans leur vie. L’heure est réellement venue de prendre l’initiative pour et avec les enfants.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.