Depuis le Yémen, où la guerre sévit depuis cinq années consécutives, je m’adresse à vous à l’occasion du trentième anniversaire de l'adoption de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. En tant qu’enseignant et syndicaliste, je tiens à vous parler des enfances courtes et torturées dans mon pays et d’une génération d’élèves qui passe du bureau d’écolier au cercueil.
Des millions d'enfants vivent dans ce pays. Ce sont les enfants que la communauté internationale n'a pas réussi à protéger. Un million d'entre eux ont été privés d'éducation, 1.300 ont été abattus, 600 ont succombé au choléra, 5.000 ont été victimes d'abus et 1,5 million ont été déplacés et sont devenus des sans-abri. Deux millions d’enfants vivent toujours dans des zones de conflit et souffrent de malnutrition, de pauvreté et de maladies.
Pourtant, la protection des enfants en temps de guerre est inscrite dans le droit international humanitaire.La communauté internationale doit intensifier ses efforts pour créer des espaces d'apprentissage sûrs au Yémen, afin de respecter les normes qu'elle s'est fixées. L'éducation ne peut être différée indéfiniment par le conflit. Les nouvelles générations ont besoin des outils que l'éducation leur fournit pour reconstruire leurs communautés et leur pays.
Malgré des années de déception, nous, en tant que syndicat de l'éducation, avons déclaré notre engagement total à soutenir les conventions internationales relatives aux droits de l'enfant, en tant que devoir national et humanitaire. Nous avons demandé à plusieurs reprises à tout·e·s les enseignant·e·s d’aller dans les écoles, même s’il·elle·s ne sont pas payés, afin de protéger cette génération de la perte, de l’analphabétisme et du point de non-retour. Parce que le manque d'éducation, la désolation et le désespoir créent les conditions idéales pour fomenter l'extrémisme chez les enfants.
L'une des conséquences désastreuses du conflit en cours est la génération d'enfants déplacés sans éducation. Ces enfants innocents se retrouvent non seulement déplacés, mais également dans l’incapacité de recevoir une éducation adéquate, ce qui augmente la probabilité qu'ils soient recrutés pour se battre. Des centaines d'entre eux sont morts sur le front de la guerre et ceux qui vivent n'ont pas la possibilité d'apprendre et de développer les compétences nécessaires pour devenir des membres actifs de la société. Cette génération d'enfants déplacés portant des fusils sera la tragédie du Yémen à l'avenir.
L’éducation au Yémen a été utilisée comme moyen de pression par les factions belligérantes. Le projet de division du Yémen affectera à la fois l'unité de l'éducation au Yémen et l'harmonie sociale de notre société. La poursuite de la politisation de l'éducation à Sanaa présente des risques culturels et intellectuels pour les élèves. Les tentatives visant à réajuster le programme scolaire pour servir un programme sectaire modifieront le tissu social, approfondiront la division culturelle et intellectuelle du pays, et produiront une génération de millions d'enfants piégés par des idées sectaires et régionales, ainsi qu'une culture de la violence et de la haine.
Par conséquent, la communauté internationale doit dénoncer la politisation de l'éducation. Elle doit également réunir les parties en conflit pour convenir que l'éducation doit continuer à revêtir un caractère civique et national, avec un programme qui renforce la paix et la stabilité pour les générations futures au Yémen.
Dans le même temps, la protection et la reconstruction de l’éducation au Yémen ne peuvent être réalisées que par le biais d’un système d’appui mondial et régional. À Sanaa et dans plusieurs gouvernorats, l’éducation est devenue un outil de mobilisation sectaire et un vecteur de la guerre, car des milliers d’enfants et de garçons dans l’enseignement public ont été mobilisés et recrutés pour se battre. Ces enfants ont laissé derrière eux bibliothèque et salle de classe pour se rendre sur le front. En l'état actuel des choses, le produit de l'éducation ne concerne plus la vie, le travail et la paix: il a davantage trait à la violence et la haine.
En tant que syndicat des enseignants yéménites et membre de l'Internationale de l'Éducation, nous nous engageons à défendre le droit à l'éducation dans les zones de conflit et considérons l'éducation comme un élément essentiel du relèvement du Yémen. Nous avons exhorté la communauté internationale à soutenir ce droit en tant que composante intégrale de l'aide humanitaire. Nous avons appelé les parties belligérantes au Yémen à respecter le droit international ainsi que les civils et les institutions civiles et à ne pas attaquer les enseignant·e·s, les élèves et les établissements d'enseignement. En collaboration avec diverses organisations internationales et nationales et des partenaires locaux, nous avons lancé des initiatives dans le but de venir en aide aux enfants les plus touchés par la guerre au Yémen.
En tant qu’institution, nous cherchons à prendre des mesures concrètes pour prévenir les attaques contre l’éducation au Yémen et pour y répondre plus efficacement, le cas échéant. Nous nous attachons également à garantir l’accès à l’éducation pour tous les enfants, et pas seulement dans l’intérêt de l’éducation elle-même, mais aussi pour la protection totale que ces écoles sûres peuvent offrir aux enfants. Des écoles sûres peuvent protéger les enfants du recrutement et même rapprocher les familles et les communautés. La scolarisation peut aider les enfants à supporter le stress quotidien lié à l’exposition à la violence armée.
À l'occasion du trentième anniversaire de la Convention relative aux droits de l'enfant, nous lançons un appel international en faveur d'une protection juridique renforcée grâce à une coopération institutionnelle accrue, sous la forme d'un réseau de solidarité entre les institutions du monde entier, afin de prévenir le ciblage de l'éducation et de ses institutions au Yémen.
Nous espérons que cet appel humanitaire incitera les États à défendre le droit de l'enfant à l'éducation pendant les crises et les conflits, en tant que composante intégrale de l'aide humanitaire.
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Le 20 novembre 2019 marque le 30e anniversaire de l'adoption de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Pour célébrer l’anniversaire de l’un des traités sur les droits de l’homme les plus largement ratifiés de l’histoire, nous publions une série de blogs illustrant le travail et l’engagement des syndicats de l’éducation pour la promotion des droits des enfants, et en particulier leur droit à l’éducation. Compte tenu du nombre important d'enfants et de jeunes encore non scolarisés, notre travail est loin d'être terminé. Lisez l'intégralité de la déclaration de notre secrétaire général, David Edwards.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.