En novembre 1989, le monde était en pleine transformation. Avec la chute du mur de Berlin et l’entrée du monde dans une nouvelle ère, les nations trouvèrent un enjeu commun dans la défense des droits de l’enfant. Le 20 novembre 1989, à l’occasion de l’adoption de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Secrétaire général des Nations Unies, Javier Perez de Cuellar, avait déclaré devant un auditoire d’enfants: « L’humanité se doit de donner le meilleur à chacun d’entre vous ». La Convention deviendra l’un des traités sur les droits humains, les plus largement ratifiés de l’histoire.
Les articles 28 et 29 de la Convention sont sans équivoque: l’éducation est un droit, pas un privilège. L’enseignement primaire gratuit et obligatoire fut mandaté tandis que les États étaient encouragés à rendre « l’enseignement secondaire ouvert et accessible à tout enfant », y compris en introduisant la gratuité de l’enseignement secondaire. L’enseignement supérieur devait être rendu accessible à tou·te·s, « en fonction des capacités de chacun ». L’application de la discipline scolaire devait se faire dans le respect de la dignité de l’enfant en tant qu’être humain. L’objectif de l’éducation était défini comme « l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques dans toute la mesure de leurs potentialités », afin de préparer l’enfant « aux responsabilités de la vie dans une société libre ».
Trente ans plus tard, d’immenses progrès ont été réalisés et le nombre d’enfants scolarisés est plus élevé que jamais auparavant. Cependant, il reste encore bien des défis à relever.
Depuis l’adoption de la Convention, le monde a été témoin d’une instrumentalisation du contexte éducatif, et du contenu même de l’enseignement lors des conflits armés. Nous avons pu assister à une série d’attaques contre des écoles dans des pays touchés par les conflits, par l’insécurité et par une protection défaillante en matière de droits humains. Des élèves, des enseignant·e·s, des syndicats d’enseignants, des universitaires et des écoles ont été intentionnellement pris pour cibles. Dans de trop nombreux cas, des écoles ont été endommagées, fermées, voire, assaillies par des groupes armés. En conséquence, des centaines d’enfants voient leur droit à l’éducation bafoué.
Pire encore, l’enseignement lui-même, est devenu une cible. Il y a à peine sept ans, des Talibans pakistanais tiraient sur Malala Yousafzai, en raison de son soutien même à ce droit à l’éducation, inscrit dans la Convention. Deux ans après, en 2014, Boko Haram kidnappait 276 filles dans leur école au Nigeria: 112 de ces jeunes filles manquent encore à l’appel aujourd’hui. Ces cas ne sont que ceux qui font la une, bien d’autres élèves et enseignant·e·s sont victimes de ces groupes sans que le monde ne s’en préoccupe. Les Talibans, comme Boko Haram (pour qui « l’éducation occidentale est un péché »), perçoivent l’éducation, en particulier celle des filles, comme une menace aux sociétés inégalitaires qu’ils cherchent à imposer dans leurs pays respectifs.
Le nombre élevé de personnes déplacées en raison de conflits, de persécutions, de défaillance des États ou de difficultés économiques, pose un immense défi. En 2018, les enfants de moins de 18 ans représentaient près de la moitié des 25,9 millions de réfugié·e·s de la planète. En termes d’éducation, la situation est critique: seuls 50 % des enfants réfugiés ont accès à l’enseignement primaire et à peine 22 % des adolescent·e·s réfugié·e·s, suivent un enseignement secondaire de niveau collège.
Afin de relever ces défis et bien d’autres, le monde s’est mobilisé autour des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) en l’an 2000, et des Objectifs de développement durable (ODD), en 2015. À la suite des efforts déployés pour réaliser l’objectif d’enseignement primaire universel (OMD2), l’ambition mondiale s’est portée sur le périmètre bien plus vaste de l’ODD4, qui couvre tous les niveaux d’enseignement, vise à améliorer la qualité de l’éducation et l’accès à celle-ci, et partage une vision de l’éducation qui dépasse le cadre de la lecture, de l’écriture et du calcul. À travers l’Agenda 2030 des ODD, les gouvernements se sont engagés à appréhender les véritables freins, ainsi qu’ « à assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, inclusive et équitable et à promouvoir les possibilités d'apprentissage tout au long de la vie ». L’ODD4 reconnait tout particulièrement, qu’une éducation de qualité ne peut exister en l’absence d’enseignant·e·s qualifié·e·s et d’environnements d’apprentissages sûrs, non violents et inclusifs.
Toutefois, quatre ans après l’adoption des ODD, le monde est déjà à la traîne et sur la mauvaise voie pour réaliser l’ODD4 et concrétiser le droit à l’éducation pour tout enfant. C’est la raison pour laquelle le travail des syndicats d’enseignants est fondamental. Nous plaidons en faveur d’une éducation pour tou·te·s, gratuite, publique, de qualité et financée par l’État. Nous évaluons les progrès réalisés et nous demandons des comptes aux gouvernements et aux institutions internationales. Nous attirons l’attention sur les menaces que représentent l’adoption d’une démarche mercantile et le fait d’autoriser la privatisation et l’édu-business, dans le but de privilégier le profit aux dépens des élèves. Nous œuvrons pour assurer aux enseignant·e·s les conditions d’emploi et de travail, une formation initiale et les dispositifs pour le développement d’un apprentissage professionnel continu qui sont nécessaires, pour leur permettre d’aider les élèves à réaliser leur plein potentiel.
Les résolutions adoptées par notre 8e Congrès mondial en juillet 2019, montrent l’ampleur du travail qu’il reste à accomplir, en vue d’éliminer les perpétuelles barrières à l’éducation universelle de qualité. Lors du Congrès, nous avons promis de poursuivre notre combat contre le travail des enfants et en faveur d’une éducation inclusive pour tou·te·s; de continuer à nous opposer à la marchandisation de l’éducation; de prendre l’initiative pour décoloniser l’éducation dans le monde; de soutenir l’accès à une offre d’éducation de qualité pour les enfants réfugiés; de veiller à ce que l’éducation à la petite enfance ne soit pas un produit de consommation mais un droit pour tout enfant; de mettre en lumière les attaques contre les écoles en Afrique et l’urgence criante d’assurer leur sécurité; et de parvenir à l’élimination universelle des châtiments corporels dans les écoles.
Les progrès que nous avons réalisés au cours de ces 30 dernières années sont louables, mais nous n’avons pas le temps de nous reposer. Tant que des enfants continuent d’être privés de leur droit d’accès à une éducation de qualité, et ils sont encore des millions, notre mission est loin d’être terminée.
David Edwards
Secrétaire général de l’IE