À l’occasion des Assemblées annuelles 2019 des Conseils des gouverneurs du Groupe de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international qui se tiennent cette semaine à Washington, l’Internationale de l’Éducation envoie deux messages clairs à la Banque mondiale:
Arrêtez de financer et promouvoir la privatisation et la commercialisation de l'éducation pour vous enrichir
En dépit des preuves qui montrent que seul un enseignement public de qualité gratuite soit durable et accessible aux personnes les plus vulnérables, la Banque mondiale continue d’accorder des financements directs à travers la Société financière internationale (IFC, acronyme anglophone) aux prestataires de services éducatifs privés, y compris aux fameux groupes d’écoles privées à bas coût. En d’autres termes, la Banque mondiale distribue l’argent levé auprès des contribuables aux entreprises d’éducation à but lucratif. Cette pratique immorale exclut les communautés les plus pauvres et marginalisées tout en permettant à des enseignant·e·s non qualifi·é·s et sous-payé·e·s de fournir une éducation de mauvaise qualité au détriment du respect des normes gouvernementales. Il est nécessaire de mettre un terme à de telles pratiques. Si la Banque mondiale souhaite véritablement soutenir l’Objectif de développement durable (ODD) n° 4 pour une éducation de qualité, elle doit impérativement cesser de financer les prestataires de services éducatifs privés et orienter son travail vers une éducation primaire et secondaire gratuite pour tou·te·s (cible 4.1 de l’ODD n° 4), l'éducation universelle de la petite enfance et un accès à l’enseignement tertiaire pour tou·te·s ceux et celles qui le souhaitent en renforçant les systèmes d'enseignement public.
En plus de financer l’éducation privée, la Banque mondiale subventionne à travers son Association internationale de développement (IDA, acromyme anglophone) les partenariats public-privé (PPP) axés sur le marché. Elle encourage également de manière active la privatisation de l’éducation en conseillant aux pays d’adopter des réformes qui assouplissent les normes et privilégient les marchés de l’enseignement privé. L’approche systémique pour de meilleurs résultats éducatifs (SABER) de la Banque mondiale encourage les ministères de l’Éducation des pays à bas revenu et à revenu intermédiaire à consolider leurs relations avec le secteur privé, à diversifier le choix de l’établissement scolaire et à motiver les prestataires de services éducatifs privés à entrer sur le marché. Ces conseils ne prennent pas en compte les preuves qui démontrent l’impact négatif des partenariats public-privé sur l’équité et la qualité dans l'éducation.
L’Internationale de l’Éducation (IE) dénonce la privatisation et la commercialisation de l’éducation, car elles compromettent l'éducation en tant que droit humain et bien public. Dans une lettre ouverte adressée à la Banque mondiale et à ses donateurs, l’IE et plus de 170 organisations de la société civile des quatre coins du monde exhortent la Banque mondiale à adopter une position claire en faveur d’un éducation publique gratuite subventionnée par les autorités publiques, et contre l’utilisation de l’aide au développement pour financer l'éducation à but lucratif.
Arrêtez de déstabiliser les enseignant·e·s et leurs syndicats
Nous observons depuis longtemps la Banque mondiale déprécier le professionnalisme des enseignant·e·s. Pendant des années, elle a encouragé des politiques qui contrôlent et dévalorisent la profession enseignante, notamment la responsabilisation de l’éducation en fonction des résultats aux tests à grands enjeux, la réduction des salaires des enseignant·e·s et le recrutement d’enseignant·e·s contractuel·le·s. La Banque mondiale a récemment mis en place un nouvel outil pour l’observation des enseignant·e·s (« TEACH ») – un instrument d’observation standardisé, qui ne tient aucunement compte du contexte local. En outre, TEACH a été conçu sans la participation et la consultation de la profession enseignante. La Banque mondiale laisse ainsi entendre qu’elle continue à percevoir les enseignant·e·s comme des travailleur·euse·s non-qualifié·e·s qui se trouvent à l’origine de la « crise de l’apprentissage » et doivent en être tenu·e·s pour responsables, plutôt que comme un corps de professionnel·le·s, digne de confiance et autonome qui mérite d’être écouté et soutenu.
Si la Banque reconnaît à juste titre que des enseignant·e·s de qualité sont la clé d’une éducation de qualité pour tou·te·s, elle s’obstine à ne pas reconnaître et soutenir leur professionnalisme. C’est pourquoi nous appelons la Banque mondiale à agir immédiatement et à changer fondamentalement son attitude à l’égard des enseignant·e·s. Elle doit pratiquer et promouvoir un dialogue politique renforcé et garantir que les enseignant·e·s et leurs syndicats soient considérés comme des partenaires clés dans la conception, le développement, la mise en œuvre et l’évaluation des réformes éducatives. Elle doit militer pour que les enseignant·e·s soient formé·e·s de manière professionnelle, hautement qualifié·e·s, soutenu·e·s activement et doté·e·s de ressources suffisantes. La Banque mondiale doit en outre mettre l’accent sur le travail décent et non sur les mesures de réduction des coûts, et elle doit aller plus loin dans la promotion des conditions de travail de qualité pour tou·te·s les enseignant·e·s, en cherchant à persuader les gouvernements d’améliorer le statut de la profession et de les soutenir dans ces démarches.
En résumé, à l’occasion de la réunion des décideurs des deux institutions internationales de financement qui aura lieu cette semaine, l’IE envoie deux messages simples et clairs: arrêtez de promouvoir la privatisation de l'éducation et de déprécier le professionnalisme des enseignant·e·s, et arrêtez de déstabiliser les enseignant·e·s et leurs syndicats. Les syndicats et la société civile attendent une réforme de la Banque mondiale depuis plusieurs années. L’heure du changement a sonné.