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Photo: Opacity/Flickr
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« L'éducation est notre meilleure défense contre le discours de bouc émissaire, mais elle nécessite un investissement constant », par Clare O'Hagan

Publié 25 mars 2019 Mis à jour 28 mars 2019
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Comme le montre le Rapport mondial de suivi sur l'éducation (GEM) de 2019, « Bâtir des ponts, pas des murs », l’éducation présente une grande capacité à lutter contre la discrimination grâce à une rhétorique inclusive. Elle peut aider les nouveaux·elles arrivant·e·s à s'adapter à de nouveaux environnements et préparer les communautés d'accueil à accepter et à célébrer leur présence.

En décembre dernier, le secrétaire général des Nations unies avait déclaré qu'il était urgent de lutter contre le discours de haine, qui non seulement s’intensifiait mais s'intégrait également dans le courant dominant, alors que les partis politiques modérés avaient adopté une rhétorique anti-immigrés afin de renforcer leurs bases.

Les étudiant·e·s peuvent acquérir des compétences pour surmonter la peur de l'inconnu, interagir de manière constructive avec différentes cultures et éviter les généralisations simplistes, incarnant ainsi la quintessence du·de la citoyen·ne du monde. Evaluant ce constat du point de vue des pays d'accueil de réfugié·e·s ou d'immigrant·e·s, le rapport GEM 2019 a révélé que les personnes plus instruites étaient moins ethnocentriques, accordaient plus de valeur à la diversité culturelle et considéraient l'impact économique de l'immigration de manière plus positive. Une enquête menée en 2017 dans 140 pays a montré que plus le niveau d'études était élevé, plus le degré d'ouverture était important face aux niveaux d'immigration stagnant ou en augmentation.

L'éducation nous rend moins influençable

Des études montrent que les personnes moins instruites sont plus susceptibles de s'inspirer des messages des médias pour forger leur opinion, ce qui peut constituer une tendance dangereuse face à une augmentation du nombre de fausses informations. L’éducation permet de discerner les représentations négatives des immigrant·e·s et des réfugié·e·s véhiculées par les médias, en permettant aux étudiant·e·s d’acquérir des connaissances politiques et un esprit critique utiles pour distinguer les faits de la fiction. Après les attentats du 11 septembre à New York, les personnes les plus instruites en Allemagne ont conservé une attitude relativement positive à l'égard des immigré·e·s, tandis que les moins instruit·e·s ont adopté des points de vue plus négatifs. Comme le montrent les chiffres ci-dessous, le niveau de tolérance des diplômé·e·s de l'enseignement supérieur était en moyenne deux points de pourcentage plus élevé que pour celles et ceux ayant une instruction secondaire (figure 5.1a), et le niveau de tolérance de ces dernier·ière·s était deux points de pourcentage supérieur à celui des personnes ayant une instruction primaire (figure 5.1b). Dans quatre pays sur cinq où les immigré·e·s représentaient au moins 10 % de la population, les personnes ayant un plus haut niveau d’études étaient plus tolérantes.

Source: Rapport GEM, basé sur l'Enquête mondiale sur les valeurs 2014 (World Values Survey 2014).

Les plus instruit·e·s semblent également mieux à même d’identifier les fausses déclarations. En Suisse, un niveau d’étude supérieur était associé à une évaluation plus critique de l’information concernant les immigrant·e·s sur des affiches politiques. Les articles portant sur la migration dans les médias utilisent souvent des stéréotypes, des catégories générales et une terminologie imprécise, et ne donnent pas la parole aux immigré·e·s ou aux réfugié·e·s. Les généralisations dans les médias peuvent renforcer l'impression que les immigrant·e·s se comportent de manière identique quelle que soit la situation. Des étudiant·e·s allemand·e·s exposé·e·s à des articles de presse utilisant un langage généraliste, tel que « un immigré entre par effraction dans une maison », étaient plus enclins à penser que les immigré·e·s auraient un comportement criminel que les étudiant·e·s exposé·e·s à des descriptions plus précises telles que « un immigré de 18 ans provenant d'un pays identifié est entré par effraction dans la maison d’une célébrité identifiée et a volé un ordinateur ».

Multiculturalisme ou interculturalisme?

Dans le passé, la plupart des pays appliquaient une politique d'assimilation à l'égard des migrant·e·s et des réfugié·e·s, ce qui, selon notre rapport, risque d'exclure les nouveaux·elles arrivant·e·s et de leur donner l'impression que leur culture est considérée comme une menace. Dans les Principes directeurs de l'UNESCO pour l'éducation interculturelle, l'éducation multiculturelle est décrite comme « ayant recourt à un enseignement sur d’autres cultures afin d’obtenir l’acceptation », tandis que l'éducation interculturelle va plus loin dans la recherche d'une « coexistence dans des sociétés multiculturelles grâce à l’instauration d’une compréhension, d’un respect et d’un dialogue entre les différents groupes culturels ». Le rapport GEM a salué le fait que l’Australie, le Canada, la Finlande, l’Irlande, la Nouvelle-Zélande et la Suède ont fait plus que simplement intégrer le multiculturalisme dans leurs programmes d’enseignement en mettant l’interculturalisme également en pratique.

L'Irlande a connu une forte vague d'immigration entre 2000 et 2010. En 2015, 15 % des enfants de 15 ans étaient des immigré·e·s. Mais après la crise financière, le sentiment anti-immigré·e·s s’est intensifié. Plus de la moitié des personnes interrogées en 2010 ont déclaré que l'Irlande était un lieu où la vie s’était empirée à cause des immigrant·e·s. Dans des enquêtes précédentes, menées entre 2002 et 2008, la plupart des gens affirmaient que l'Irlande était un meilleur pays grâce aux immigrant·e·s. Le gouvernement a lancé une nouvelle politique ambitieuse et d’une grande portée en matière d'éducation interculturelle afin d'investir dans les compétences des nouveaux·elles immigrant·e·s et d'améliorer l'attitude du public à leur égard.

Une mise en œuvre adéquate de l’éducation interculturelle exige beaucoup d’engagement. Le gouvernement irlandais a eu accès à une importante tranche de financement de l'Union européenne et a mis en place une formation approfondie pour les enseignant·e·s, les responsables de l'éducation et les établissements. Les enseignant·e·s ont été formé·e·s à l’intégration des droits humains et de la justice globale dans leur enseignement et à la reconnaissance de l’importance des attitudes des étudiant·e·s. Depuis 2003, l’Irlande a ajouté 18 options linguistiques à l’examen de fin d’études secondaires.

Les enseignant· e· s ont besoin d’une palette de compétences pour enseigner dans des classes présentant une grande diversité

Pour élargir les esprits et modifier les perceptions, il faut également investir dans la formation des enseignant·e·s, les manuels scolaires et les programmes éducatifs. Un rapport sur la formation des enseignant·e·s à la diversité en Europe met l'accent sur l'amélioration dans trois domaines. En premier lieu, les enseignant·e·s doivent avoir une connaissance des cadres juridiques, des dimensions de la diversité culturelle et des méthodes pour gérer la diversité. Le deuxième domaine a trait à la communication enseignant·e-étudiant·e et enseignant·e-parent, à l'ouverture d'esprit et au respect dans la communauté scolaire, à l’encouragement de l'engagement des étudiant·e·s, et à la gestion des conflits pour éviter la marginalisation. Le troisième domaine porte sur la gestion et l’enseignement: aborder la diversité socioculturelle dans les salles de classe, établir un environnement inclusif et sûr, adapter l'enseignement aux besoins des étudiant·e·s et utiliser diverses approches pour un enseignement sensible à la culture.

Beaucoup reste à faire avant que les manuels et les programmes scolaires puissent être considérés comme véritablement interculturels dans la plupart des pays à revenu élevé. Et les enjeux à cet égard sont importants: un contenu éducatif approprié peut aider les citoyen·ne·s à traiter de manière critique les informations et à promouvoir des sociétés cohésives, alors qu’un contenu inapproprié peut répandre des notions négatives, biaisées, exclusives ou dédaigneuses sur les immigrant·e·s et les réfugié·e·s.

Le soutien total des politiques gouvernementales est en effet essentiel pour permettre aux établissements d’enseignement de lutter de front contre les préjugés de la société et de relever le défi sans le soutien total d’un gouvernement. Pour élargir les esprits et modifier les perceptions, il faut investir dans la formation des enseignant·e·s, dans les manuels scolaires et les programmes d’enseignement, et impliquer activement les communautés d’immigrant·e·s dans le processus.

A propos de l'auteure: Clare O'Hagan est spécialiste des communications pour le Rapport mondial de suivi sur l’éducation. Clare a travaillé sur les communications du rapport GEM 2019 de l'UNESCO intitulé « Migration, déplacement et éducation: Bâtir des ponts, pas des murs», et elle blogue régulièrement sur les questions mondiales d'éducation pour le rapport GEM.

Note du rédacteur en chef: Cette publication fait partie d'une collaboration entre NORRAG et l'Internationale de l'Education en vue de la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale de 2019, qui commémore les efforts internationaux visant à éliminer toutes les formes de discrimination raciale. Le thème de cette année est: « Atténuer et contrer la montée du populisme nationaliste et les idéologies suprémacistes extrémistes».

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.