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Droits d’auteur et éducation: des conditions inégales pour l’enseignement et l’apprentissage en Europe, par Teresa Nobre

Publié 10 avril 2018 Mis à jour 12 avril 2018
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Dans quelle mesure un(e) enseignant(e) peut-il utiliser dans sa classe un poème, une vidéo, un œuvre d’art ou un morceau de musique créé par quelqu’un d’autre? De la maternelle à l’enseignement supérieur, enseignant(e)s, universitaires, chercheurs/euses, personnel éducatif et étudiant(e)s peuvent utiliser des œuvres littéraires et artistiques à des fins éducatives dans la mesure où les droits d’auteur qui les protègent permettent une telle utilisation. La question de l’application des droits d’auteur dans le domaine de l’éducation comporte donc des implications dans tous les aspects de l’éducation et pour tous les employé(e)s de ce secteur.

De quelle manière les droits d’auteur s’appliquent-t-ils à l’éducation?

Droit d’auteur et éducation en Europe: 15 cas du quotidien pour 15 pays, une étude menée par COMMUNIA, révèle que certaines lois se montrent généreuses et permettent aux enseignant(e)s, universitaires et étudiant(e)s de montrer des vidéos Youtube en classe, de traduire des poèmes ou autres ouvrages littéraires à des fins pédagogiques, d’intégrer la représentation d’une œuvre d’art dans un exposé ou de jouer une pièce théâtrale dans le cadre d’une activité scolaire.

D’autres lois autorisent également ce type d’utilisation, tout en exigeant de l’utilisateur/trice [établissement d’enseignement, enseignant(e), universitaire ou étudiant(e)] qu’il/elle paye une compensation aux auteurs, dont le montant pourra paraître abordable pour certain(e)s et totalement inaccessible pour d’autres, selon leurs ressources financières.

Certains pays, d’autre part, n’autorisent tout simplement pas certaines de ces activités pédagogiques. L’utilisateur/trice devra donc demander une autorisation à chaque auteur pour chacune des œuvres qu’il entend exploiter dans un cadre éducatif. Il est évidemment difficile d’appliquer ce dernier cas, voire parfois impossible, lorsque les auteurs ne peuvent être retrouvés.

De quelle manière ces différentes lois affectent-elles l’enseignement?

Il existe autant de manières d’appliquer les droits d’auteur aux questions éducatives que de pays dans le monde. Cette réalité se traduit par de profondes inégalités en matière d’accès et d’utilisation des ressources (à supposer qu’elles soient en effet exploitables) à des fins d’enseignement et d’apprentissage de qualité. En effet, certain(e)s enseignant(e)s seront libres de choisir le matériel qui leur semblera le plus pertinent pour illustrer leur cours, quand d’autres devront soit se priver d’un tel matériel, soit prendre le risque d’enfreindre les lois protégeant les droits d’auteur.

Sans oublier que ces divergences d’approches créent également un obstacle dans le cadre des programmes de formation à distance ou des projets d’éducation transfrontaliers dans lesquels interviennent des enseignant(e)s et étudiant(e)s issus de différents pays (et donc soumis à des droits d’auteur différents).

Existe-t-il des projets de réformes pour ces lois?

Des débats sur la réforme des droits d’auteur sont actuellement en cours dans plusieurs pays du monde. Dans l’ Union européenne, par exemple, les projets de réforme prévoient des discussions pour trouver le bon compromis entre les droits d’auteur et les besoins de l’éducation moderne et traditionnelle, par le biais d’un mécanisme juridique appelé « exceptions et limitations aux droits d’auteur ». Comme son nom l’indique, cette disposition légale établit des exceptions ou des limites aux titulaires exclusifs des droits d’auteur en ce qui concerne le contrôle de l’utilisation de leurs œuvres par autrui, plus précisément dans le cadre pédagogique (et non lucratif).

De plus, un nombre croissant d’intervenant(e)s éducatifs/ives militent pour la mise en place d’un cadre juridique commun à l’échelle internationale en vue de garantir un socle minimal de droits pour tous les établissements éducatifs à travers le monde et ainsi faciliter la collaboration transfrontalière et les échanges. Ces débats ont lieu au sein de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.

Si des débats sont déjà en cours, pourquoi les enseignant(e)s devraient-ils/elles s’impliquer?

Des discussions sont en cours, oui, mais elles ne mèneront pas nécessairement à la mise en œuvre de lois favorables à une éducation de qualité, c’est pourquoi l’implication des enseignant(e)s est capitale.

La Commission européenne travaille par exemple sur un projet de loi qui permettra aux écoles d’utiliser des ressources protégées par les droits d’auteur pour leurs activités numériques. Néanmoins, si une licence couvrant ce type d’utilisation venait à apparaître sur le marché, les écoles se verraient alors dans l’obligation de l’acheter pour pouvoir continuer d’utiliser leur matériel. Cela pose problème car les écoles sont mal préparées pour négocier les licences. D’autre part, dans une étude commanditée par la Commission européenne en 2016, quand on leur demandait de nommer la principale restriction liée aux droits d’auteur qu’ils/elles avaient subi dans l’exercice de leur fonction, les enseignant(e)s citaient à 31,3 % le « manque de moyens [d’eux-mêmes ou de l’école] pour payer la licence ».

Je suis enseignant(e). Comment puis-je prendre part au débat?

Les enseignant(e)s doivent faire entendre leur voix et être présent(e)s à l’occasion des forums nationaux, régionaux ou internationaux. Voici une liste de certaines actions à envisager:

  • Commencez par vous informer sur les droits d’auteur et l’éducation. Le Comité syndical européen de l’éducation (CSEE) accueille une conférence de haut-niveau, « Un meilleur droit d’auteur pour une éducation et une recherche de qualité en Europe et au-delà», en partenariat avec la Fédération européenne des employeurs dans l’éducation (FEEE) et le réseau COMMUNIA, constitué de militant(e)s du secteur de l’éducation et d’avocats en droit de la propriété intellectuelle. La conférence aura lieu le 11 avril, à Bruxelles, en Belgique, et sera retransmise en ligne.
  • Obtenez des informations sur les droits d’auteur en vigueur dans votre pays, repérez les failles et opportunités que cela implique pour les employé(e)s du secteur de l’éducation et pour leur travail.
  • Soutenez la lettre collective rédigée à l’initiative de Communia et signée par 53 organisations, qui demande instamment une amélioration des exceptions éducatives dans le projet de directive européenne sur les droits d’auteur dans le marché unique numérique, en envoyant un courriel à l’adresse education@communia-associations.org.
  • Inscrivez-vousà la newsletter de Communia, « Copyright Untangled », afin de recevoir les dernières actualités sur les droits d’auteur et l’éducation.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.