En consacrant son Rapport sur le développement dans le monde à l’éducation, la Banque mondiale réaffirme son autorité en matière de politique éducative. Si, de prime abord, il semble quasi impossible de passer en revue les points positifs et négatifs de l’ensemble du document – l’introduction du rapport fait mention de 119 « chercheurs/euses et spécialistes du monde entier » qui ont partagé « des commentaires et des suggestions » –, cette dernière publication de la Banque mondiale pourrait toutefois être améliorée à bien des égards.
Par exemple, rien de nouveau n’est proposé du point de vue de la question du genre. La notion de genre continue d’être assimilée à celle de sexe, mettant ainsi l’accent sur l’augmentation du taux de scolarisation des filles. Bien que les termes « filles » et « genre » apparaissent respectivement 49 fois et 44 fois dans le rapport, ce dernier ne mentionne nullement les différences qu’impliquent la féminité et la masculinité en termes de pouvoir et d’accès aux ressources dans les sociétés du monde entier. En l’absence de diagnostic bien établi, nous ne pouvons proposer de solutions efficaces.
Les données présentées par le rapport de la Banque mondial ne font que confirmer ce que nous savons déjà : les performances scolaires des filles sont influencées par les conditions économiques des ménages, le fossé éducatif entre les filles et les garçons se creuse à l’âge de la puberté, les filles obtiennent de meilleurs résultats en compréhension de l’écrit dans tous les pays, tandis que les garçons sont plus performants en mathématiques et en sciences. Compte tenu de l’absence de cadre conceptuel définissant la notion de genre, le rapport de la Banque mondiale fait d’étranges constatations telles que « le fait de construire des toilettes pour les filles n’influence pas l’apprentissage » et « la nourriture servie à l’école influence rarement l’apprentissage » (Rapport sur le développement dans le monde 2018, citations en anglais à la page 148). Puisqu’aucun lien direct n’a pu être établi entre ces mécanismes de soutien et l’acquisition immédiate de connaissances, le degré de causalité semble ici hasardeux.
D’après le rapport, l’apprentissage constitue l’objectif premier de l’éducation. Qui pourrait en douter ? Cependant, cette affirmation suscite de profondes préoccupations lorsqu’il devient évident que la notion d’apprentissage renvoie aux résultats obtenus aux tests nationaux standardisés (voire aux indicateurs globaux) et que ces données donnent naissance à des stratégies pédagogiques bien définies. Si elle se base sur ces tests, l’évaluation de l’apprentissage se limite aux matières le plus souvent examinées, à savoir la compréhension de l’écrit et les mathématiques. Nous savons dorénavant que les garçons et les filles doivent posséder des connaissances qui remettent en question le système actuel si l’on souhaite améliorer le rapport social qui existe entre les genres. A l’heure où l’impact des formes de violence fondée sur le genre est de plus en plus reconnu, les questions touchant à la violence sexuelle et domestique à la maison, au travail et à l’école doivent faire partie des connaissances essentielles à acquérir par les élèves. Les autorités éducatives doivent continuer à abolir les stéréotypes liés au genre dans les programmes scolaires et faire des écoles des environnements adaptés aux filles. Il est indispensable de lutter formellement contre la dévalorisation des femmes et de la féminité et – à l’inverse – la valorisation des hommes et de la masculinité hégémonique dans la sphère sociale et dans les écoles. Pour endiguer ces pratiques sociales, il est nécessaire de pouvoir identifier les inégalités dont sont victimes les femmes au sein de leur environnement social (privé et public) ainsi que les différents privilèges accordés aux hommes, et de réfléchir à la façon dont les citoyen(ne)s et les responsables politiques peuvent renverser la situation. Bien que les connaissances liées à ces sujets constituent la pierre angulaire des écoles progressistes, elles ne sont généralement pas évaluées.
Au lieu de concentrer principalement nos efforts sur l’évaluation de l’apprentissage, nous devrions en priorité nous assurer que les élèves apprennent. Les beaux discours visant à reconnaître l’importance des enseignant(e)s ne suffisent pas. Les enseignant(e)s – dont la plupart sont des femmes – doivent recevoir une formation pédagogique adaptée et centrée sur leur matière principale. En outre, ils/elles doivent être formé(e)s aux problématiques de genre et aux droits humains. Nombre d’enseignant(e)s des pays en développement vivent dans des conditions très proches de la pauvreté et il leur est difficile de faire abstraction de ce mode de survie pour entamer une réflexion sur leurs pratiques professionnelles. Cela a-t-il du sens de mettre l’accent sur l’apprentissage au lieu de doter les apprenant(e)s du minimum de compétences infrastructurelles et pédagogiques requises lorsque les dépenses par élève pour l’enseignement primaire et secondaire s’élèvent à 9 200 $/an en moyenne dans les pays de l’OCDE (Institute of Education Sciences, 2017), à environ 500 $/an dans les pays à faible revenu et à 1 400 $/an dans les pays à revenu intermédiaire tranche inférieure (UNESCO, 2015) ?
Mon objectif ici n’est pas de me plaindre quant aux limites du rapport, mais plutôt de saisir cette occasion pour renverser la situation. Il est grand temps que nous, les femmes mais également tous les hommes souhaitant réduire les inégalités de genre, nous nous érigions en tant qu’agents du changement sans attendre que les institutions majoritairement dirigées par des hommes – des gouvernements aux institutions financières internationales – ne viennent à notre secours. Bien qu’il n’y ait qu’une minorité de dirigeantes de syndicats d’enseignants, je suis convaincue que les femmes peuvent demander à leur propre organisation de leur offrir davantage d’opportunités de développement professionnel concernant les problématiques de genre, dans la mesure où elles concernent l’éducation et le reste de la société dans laquelle elles s’inscrivent.
« #WDR2018 à l’épreuve des faits » est une série promue par l’Internationale de l’Education. Elle rassemble les analyses d’expert(e)s et de militant(e)s de l’éducation (chercheurs et chercheuses, enseignant(e)s, syndicalistes et acteurs et actrices de la société civile) des quatre coins de la planète en réponse au Rapport sur le développement dans le monde 2018, Apprendre pour réaliser la promesse de l’éducation. La série fera l’objet d’une publication en préparation des Réunions du printemps 2018 de la Banque mondiale. Si vous souhaitez y contribuer, veuillez prendre contact avec Jennifer à jennifer.ulrick@ei-ie.org. Les opinions exprimées n’engagent que leur auteur et ne représentent pas les positions de l’Internationale de l’Education.
Références
Institute of Education Sciences, 2017,« Education Expenditures per country. The Condition of Education », Washington DC, Institute of Education Sciences, U.S. National Center for Education Statistics.
UNESCO, 2015, « Chiffrer le coût de la réalisation des nouvelles cibles d’ici à 2030 », Rapport mondial de suivi sur l’Education pour tous, Document de référence 18, Paris, UNESCO.
Banque mondiale, 2017, « Apprendre pour réaliser la promesse de l’éducation », Rapport sur le développement dans le monde 2018, Washington DC, Banque mondiale.
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