Pratiquement toutes les questions se rapportant à l’éducation se transforment en un débat passionné, suscitant des réactions instinctives extrêmement virulentes et anéantissant tout espoir de mener des discussions constructives basées sur une analyse approfondie des divers points de vue divergents et autres preuves fondées.
Ce constat est particulièrement vrai pour les évaluations internationales de l’éducation de grande envergure ( International Large Scale Educational Assessments- ILSEA) telles que PISA ou TIMSS, dénuées de tout propos nuancé ou d’analyse méthodique du rôle que jouent ces dernières dans l’amélioration des résultats scolaires des étudiant(e)s.
Nul ne s’étonnera de la nature polarisée de ce type de débat. Les opinions et perspectives défendues par les responsables politiques, les chercheurs/euses, les enseignant(e)s, les administrateurs/trices, les étudiant(e)s et leurs familles se révèlent particulièrement convaincantes lorsqu’il s’agit d’identifier les stratégies fonctionnant efficacement au sein de l’éducation, les domaines à améliorer et les solutions pouvant être apportées. Chacune de ces parties prenantes s’oppose à l’autre en avançant toute une série d’arguments, dont les deux plus fréquents sont « Vous êtes idiot, mes idées sont le reflet du bon sens et tout le monde y adhère », suivi d’un commentaire méprisant tel que « Votre point de vue ne s’appuie sur aucune preuve et quand bien même vous en auriez, celles-ci n’auraient que peu de poids en comparaison des miennes ». En réalité, toute discussion entourant l’éducation laisse apparaitre une tendance relativement fréquente à faire preuve d’idiotie et, dans la plupart des cas, à en être fier. Le terme « idiotie » que nous utilisons ici ne se réfère aucunement à une personne peu intelligente tel que le veut l’usage commun, mais bien à sa signification étymologique remontant au grec ancien, et selon laquelle, comme l’explique Walter C. Parker (2005):
... le mot « idiotie » est construit sur la racine idios, que l’on retrouve également dans les mots « idiome » et « idiosyncratique », signifiant particulier, séparé, centré sur soi, égoïste. En Grèce antique, la notion d’« idiotie » doit se comprendre comme un reproche. Un individu au comportement « idiot », c’est-à-dire aveuglément centré sur ses biens propres et sans égards vis-à-vis des biens publics, était considéré comme une bateau à la dérive sans incidence aucune, si ce n’est le danger qu’il représente pour autrui. Cette signification de l’ idiotie déploie toute sa force une fois mise en confrontation avec la notion de politeia(citoyenneté) ou celle de bien public. Nous pouvons observer ici toute la puissance de l’opposition qui existe entre l’individu évoluant dans une sphère privée et le citoyen évoluant dans une sphère publique (p. 344).
Afin de bien comprendre la mesure dans laquelle les acteurs du secteur de l’éducation affichent des attitudes idiotesà l’égard des ILSEA et des réformes éducatives en général, il importe en premier lieu d’analyser le discours et les réactions qui leur sont associés, de même que les résultats qui en découlent. Les recherches consacrées aux ILSEA ont été centrées en priorité sur la performance de l’étudiant(e), ainsi que sur les disparités observées dans les résultats en fonction du genre et de la situation socioéconomique, et bien moins sur les attitudes des parties prenantes. Dans le cadre de notre recherche,nous nous sommes fixé comme objectif de combler cette lacune en cherchant à déterminer plus spécifiquement si les parties engagées dans l’éducation au niveau national (ministères de l’éducation, responsables politiques nationaux/ales et autres acteurs sur le plan politique et social) accordent ou non du crédit aux évaluations internationales faisant état des résultats des étudiant(e)s, telles que les ILSEA, et dans quelle mesure celles-ci sont intégrées à leurs initiatives nationales.
Les ILSEA : des outils de légitimation
Notre analyse exploratoire des études consacrées aux ILSEA a révélé que les responsables politiques voient dans ces évaluations des outils leur permettant de légitimer les réformes éducatives existantes ou nouvelles, bien que peu de preuves démontrent un quelconque lien de causalité entre la participation aux ILSEA et la mise en application de telles réformes. En réalité, les réformes éducatives ont le plus souvent déjà été proposées ou sont déjà en cours de mise en œuvre, si bien que, dès leur publication, les responsables politiques utilisent les résultats des ILSEA pour se déclarer pour ou contre une législation existante ou nouvelle.
Dans le même temps, les résultats de nos deux enquêtes menées auprès de spécialistes des ILSEA, de responsables politiques et de la communauté éducative laissent apparaître un sentiment croissant parmi les participant(e)s selon lequel ces évaluations ont une incidence sur les politiques éducatives nationales, sachant que 38 pour cent d’entre eux/elles pointent du doigt leur mauvaise utilisation dans les différents contextes politiques nationaux. Elément intéressant, les spécialistes se montrent généralement plus critiques dans leur analyse des ILSEA que les non-spécialistes, 43 pour cent d’entre eux/elles affirmant que ces évaluations sont souvent utilisées à mauvais escient. Ils/Elles expliquent aussi que les responsables politiques n’ont qu’une compréhension limitée des ILSEA, utilisées uniquement pour leur « aspect cérémoniel », et soulignent leur nature trop ambitieuse et décontextualisée pour être appliquées avec pertinence dans les contextes nationaux. En fonction de leurs expériences professionnelles et personnelles, les participant(e)s expriment des points de vue divergents lorsqu’il s’agit de déterminer si les ILSEA contribuent ou non aux efforts déployés en faveur de la mise en place de réformes éducatives au niveau national.
Points de vue des participant(e)s à l’enquête: les ILSA/GLM apportent-ils une contribution aux initiatives en faveur d’une réforme mondiale ou y font-ils obstacle?
Remarque: les réponses proviennent des enquêtes menées auprès des spécialistes et des non-spécialistes.
Le résultat le plus significatif qui ressort des études consacrées aux ILSEA que nous avons passées en revue est ce nouveau paradigme qui a rendu possibles les comparaisons en matière d’éducation aux niveaux national, régional et mondial. D’une part, les ILSEA ont le potentiel de fournir aux gouvernements et aux divers acteurs de l’éducation des modes de comparaison utiles et pertinents permettant prétendument d’évaluer les résultats d’apprentissage à la fois dans les villes, les Etats et les régions, mais aussi entre les pays. D’autre part, il est dangereux d’analyser les résultats des ILSEA au travers d’un prisme étriqué, à savoir le bon, la brute et le truand, sans tenir compte de la forte influence des inégalités d’accès à l’éducation dans les divers contextes ou en ignorant les programmes politiques ou économiques encourageant la création et l’utilisation des ILSEA au sein de l’éducation.
Produire des discours simplifiés à outrance en s’appuyant sur les ILSEA sans tenir compte des différents contextes et des multiples obstacles, sans s’intéresser à l’égalité des chances en matière d’éducation ou aux droits de millions d’enfants et en ne consacrant son énergie qu’à justifier ses propres opinions - rejetant d’emblée toute démonstration contraire pour légitimer ses propres intérêts et bénéfices - représente une véritable idiotie en termes d’éducation. Quelle est la meilleure protection contre l’ idiotie au sein de l’éducation? Nous l’avons déjà constaté, nous en avons discuté, nous l’avons expérimenté, nous l’avons évalué et nous en avons la preuve: il faut éviter de s’appuyer exclusivement sur des mesures quantitatives simplistes pour déterminer les résultats d’apprentissage, rejeter les stratégies à court terme permettant une progression rapide dans les classements des ILSEA et mettre en œuvre des stratégies éprouvées pour renforcer l’égalité des chances et améliorer les résultats à long terme. Et surtout, il convient de cesser de soutenir des réformes éducatives sur la base du seul et unique critère étriqué de la qualité.
Plus que jamais, nous devons considérer différents types et sources de données, nous devons rechercher des moyens plus pertinents pour présenter les données comparatives, nous devons reconnaître l’importance de la mission civique et publique de l’éducation et nous devons engager nos différentes communautés, parents, personnel enseignant, syndicats de l’éducation, administrateurs/trices, dirigeant(e)s communautaires et étudiant(e)s, dans un dialogue public sur ce que représente l’éducation et ce qu’elle doit être.Combattre l’ idiotie qui règne au sein de l’éducation nous permettrait de remettre sur la table des questions éducatives plus fondamentales et allant au-delà de la performance d’un pays déterminée par les évaluations internationales de grande envergure.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.