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Les syndicats du Zimbabwe s’unissent contre le travail des enfants

Publié 9 juin 2017 Mis à jour 9 juin 2017
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Au Zimbabwe, les syndicats PTUZ (Progressive Teachers’Union of Zimbabwe) et ZIMTA (Zimbabwe Teachers’ Association) sont impliqués depuis 2015 dans le projet Out of Work Into School.

Le but est de développer une zone libre de tout travail d’enfants dans le 8ème arrondissement du district de Chipinge (province du Manicaland, proche du Mozambique) et d’accroître la prise de conscience de l’importance de la scolarité dans tout le district. Les deux syndicats participent dans ce projet au sein de la coalition « Team Zimbabwe », qui inclut aussi les organisations non gouvernementales CACLAZ (Coalition Against Child Labour in Zimbabwe) et ZNCWC (Zimbabwe National Council for the Welfare of Children).

Les premiers pas du projet se sont heurtés à un contexte hostile dans la région de Chipinge, connue pour ses plantations de thé. L’une des plus grandes entreprises de ce secteur, Tanganda, avait établi depuis plusieurs dizaines d’années le système Earn & Learn : en échange de leur travail dans les plantations de thé, les enfants pouvaient être scolarisés dans des écoles appartenant à Tanganda ! En 2013, les dénonciations d’ONG et de médias ont contraint l’entreprise à mettre un terme à ce système, mais rien n’a été mis en place pour permettre la poursuite de la scolarité des enfants. Faute de pouvoir payer leurs frais scolaires, de très nombreux ex-enfants travailleurs ont donc quitté l’école en même temps qu’ils cessaient le travail dans les plantations. Un ressentiment par rapport aux interventions extérieures était perceptible au sein de la population.

Les partenaires de « Team Zimbabwe » ont dû faire preuve de patience et diplomatie pour pouvoir démarrer leurs activités sur le terrain. ZIMTA et PTUZ ont formé 96 enseignants de la région sur le concept de travail d’enfants. ZIMTA a développé des activités artistiques au sein de neuf écoles afin de faire passer le message « non au travail des enfants ». A l’école secondaire Aventure par exemple, les enseignants ont utilisé la troupe de théâtre et de danse pour créer des sketches sensibilisant à l’importance de l’éducation. A l’école primaire Rattleshoek, un professeur d’art a écrit un poème de sensibilisation au travail des enfants, ses élèves ont appris à le réciter. A l’école primaire New Years’ Gift, Haandidi Masiya a rassemblé les élèves dans une saynète où ils demandent à leurs proches le respect de leurs droits. « De petites améliorations contribuent à redonner envie aux enfants de venir à l’école, note John Kasambira, directeur de l’école secondaire Zona. Avant le début de ce projet, le groupe de musique de notre école ne commençait ses activités qu’au troisième trimestre, avant une compétition annuelle réunissant toutes les écoles de la région. Il commence maintenant dès le début de l’année scolaire, ce qui a contribué à rendre l’école plus attractive».

« Jusque 2013, dénoncer le travail des enfants était tabou »

PTUZ a conduit des sessions de sensibilisation aux dangers du travail des enfants dans cinq écoles de Chipinge. La coordinatrice nationale du projet réunissait les élèves et enseignants pour animer des discussions et des ateliers d’écriture. « Ces sessions sont essentielles pour changer la mentalité des enfants, explique Joseph Machuwaire, directeur de l’école secondaire Aventure. Jusque 2013, le message était que les enfants doivent travailler pour avoir la possibilité d’être scolarisés, c’était le système auquel chacun était habitué. Dénoncer le travail des enfants était tabou. Cette manière de penser ne disparaît pas du jour au lendemain». Les mentalités évoluent progressivement. « Après les sessions de sensibilisation, les enfants parents parlent aux parents de ce qu’ils ont appris. Des parents sont venus nous voir pour en discuter à leur tour», rapporte David Binda, directeur adjoint de cette école. Une réflexion sur l’éduction s’engage ainsi dans certaines communautés au départ de petites sessions de sensibilisation menées dans quelques écoles.

PTUZ et ZIMTA ont pu compter sur l’appui de Comités pour la protection des enfants. Ces comités existent dans chaque arrondissement en vertu d’une politique gouvernementale, ils ont des représentants dans les écoles, tant au sein des enseignants que des élèves. Ils ont un rôle à jouer dans la sensibilisation aux droits des enfants et dans le signalement des abus. Le Comité de protection des enfants du district de Chipinge, une autorité gouvernementale, s’est associé à ZIMTA et à PTUZ dans plusieurs activités du projet, notamment les formations d’enseignants. Petit à petit, Team Zimbabwe s’est aussi attiré le soutien de l’Association des producteurs de thé du Zimbabwe et d’entreprises comme Tanganda et Ariston Holdings, qui s’expriment ouvertement contre le travail des enfants.

Les taux d’inscription augmentent

Les taux d’inscription dans les écoles concernées par le projet ont augmenté ces deux dernières années. « Lorsque le système Earn & Learn a été aboli en 2013, le nombre d’élèves a chuté à 400. A peine un an après le lancement du projet Out of Work Into School, il était remonté à 498», témoigne Khosa Cames, directeur de l’école secondaire Ratelshoek  « Notre nombre d’élèves est passé de 536 à 575 en deux ans, grâce aux sensibilisations menées à travers ce projet. Les parents de notre communauté sont désormais conscients de l’impact négatif du travail des enfants sur l’éducation», note Happy Matikiti, directeur de l’école primaire Zona.

PTUZ a oeuvré avec CACLAZ à la mise sur pieds d’une école passerelle pour les enfants qui reviennent à l’école après une longue absence. De la fin 2015 à avril 2017, quelque 92 ex-enfants travailleurs sont passés par cette école passerelle et ont suivi des cours de réadaptation scolaire qui leur ont permis d’être inscrits dans une classe régulière. PTUZ a formé 23 enseignants à cette méthode d’apprentissage rapide, sur base de son expérience dans d’autres projets de développement de zones libres de tout travail d’enfants.

ZIMTA a développé un manuel sur les droits des enfants à destination des enseignants. Chaque partenaire de la coalition Team Zimbabwe a contribué à la rédaction de ce document. Pour ZIMTA, il s’agit de la première implication dans un projet de lutte contre le travail des enfants. Cette participation a suscité l’enthousiasme du syndicat d’enseignants, à tel point que sa Conférence nationale annuelle de 2016 a adopté une résolution appelant ZIMTA à développer des cadres conceptuels sur l’approche par zones dans la lutte contre le travail des enfants, et appelant le gouvernement à soutenir les enseignants actifs dans les écoles passerelles.

Bonne collaboration entre PTUZ et ZIMTA

A travers ce projet, les syndicats ZIMTA et PTUZ ont développé une collaboration mutuellement fructueuse malgré leurs différences historiques. Angelina Lunga et Hillary Yuba, coordinatrices du projet respectivement pour ZIMTA et PTUZ, ont veillé à communiquer efficacement et à trouver des convergences entre les activités de chaque syndicat dans les écoles de Chipinge. Suite à la participation des deux coordinatrices à un cours sur le travail des enfants dans l’agriculture organisé par le Centre international de formation du BIT à Turin, le projet de Chipinge prend une nouvelle dimension : ZIMTA a formé 34 enseignants à l’utilisation des nouvelles technologies de l’information, afin qu’ils puissent à leur tour suivre un cours en ligne sur le travail des enfants développé par la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture).

Un soutien de l’AOb et Mondiaal FNV va permettre au projet des deux syndicats de continuer pour deux années supplémentaires.

Angellah Sigauke Tsitsi, directrice de l’école primaire New Years’ Gift

Les conditions de vie sont très dures dans cette région. Certains enfants marchent huit kilomètres, matin et soir, pour assister aux cours. D’autres n’ont pas cette chance, ils marchent dix kilomètres pour aller vendre du charbon de bois dans la ville de Chipinge.  En période de sécheresse, les habitants de la région souffrent de la faim, le paiement des frais scolaires n’est pas leur priorité. La majorité des élèves ne sont donc pas en règle au niveau des cotisations scolaires, ce qui pose de sérieux problèmes au budget de fonctionnement de notre école.

Malgré ces difficultés, nous percevons un changement de mentalité de la part de nombreux parents depuis le début du projet Out of Work Into School. Nous avons développé les activités culturelles scolaires (chants, danses, poèmes, théâtre) de sensibilisation aux dangers du travail des enfants. Ces activités existaient déjà auparavant, mais l’existence d’un projet comme Out of Work Into School a décuplé notre énergie. Nous nous déplaçons au domicile d’un élève dès qu’il s’absente pour plus de deux jours. Nos enseignants offrent des cours supplémentaires aux élèves en difficulté, trois mamans ont aussi sollicité notre aide pour apprendre à lire et écrire. L’éducation est davantage valorisée dans la communauté, ce qui motive nos enseignants.