Discours de Susan Hopgood (Présidente de l'Internationale de l'Education) lors l'événement de lancement de la campagne « Chaque enfant a besoin d’un(e) enseignant(e) » (Every child needs a teacher), accueilli conjointement par l'Internationale de l'Education et la Campagne mondiale pour l'éducation, le 24 septembre 2012.
J'aimerais parler de la nécessité de mener cette campagne en détaillant certains paradoxes qui flottent en ce moment autour de l'EPT.
Premier paradoxe : la question de l'objectif
Comme nous le savons et l'avons précisé, le grand objectif civique de notre profession est d'aider à préparer les étudiant(e)s à comprendre le monde, à y participer et à le construire sur la base de certains principes et droits fondamentaux comme la paix, la démocratie, la créativité, la solidarité, l'inclusion, l'engagement pour un environnement durable, la compréhension internationale et interculturelle.
Pourtant, le débat actuel réduit bien souvent la nature de l'enseignement à des résultats facilement mesurables par le biais de tests sur papier, résultats pour lesquels les enseignant(e)s sont considéré(e)s comme responsables.
Les écoles sont donc forcées à réduire leur programme scolaire afin de répondre aux critères des ces évaluations normalisées et, pour prouver leur efficacité, les enseignant(e)s doivent « enseigner pour tester ».
Dès lors, les personnes qui ont choisi la profession enseignante pour faire la différence dans la vie des enfants et constituer des communautés d'apprentissage participatif quittent la profession en masse, car elle se résume à une industrie de prestation de services basée sur le contrôle, les sanctions et la conformité.
Peu importe que l'économie du 21ème siècle ait besoin de penseurs créatifs, dotés d'un esprit critique, d'un sens de la collaboration et capables de résoudre efficacement les problèmes.
Deuxième paradoxe : la question de l'importance
Les discours actuels en matière de politique laissent sous-entendre que les enseignant(e)s sont important(e)s. Nous sommes d'accord.
Tellement important(e)s, disent-ils, qu'il faut accorder une attention particulière au recrutement des meilleurs et des plus brillants éléments dans les écoles qui en ont le plus besoin. Mis à part certaines divergences d'opinion en termes de critères, nous sommes tout à fait d'accord sur le principe.
Tellement, tellement important(e)s qu'il est inutile de s'inquiéter de les préparer correctement au métier d'enseignant(e)s, de se soucier de les maintenir dans la profession pour construire une communauté scolaire ou encore de leur permettre de se syndicaliser et de parler d'une seule voix. Non, il est préférable de simplifier au maximum leur licenciement ou de les payer à des taux non professionnels.
S'ils pensent qu' « être important(e) et respecté(e) », c'est rejeter en bloc les normes internationales et la Recommandation de l'OIT/UNESCO de 1996 régissant le statut des enseignant(e)s, employer à bas prix des enseignant(e)s sans formation et suspendre la pensée rationnelle...alors nous avons un sérieux problème.
Et c'est le cas.
Quelques années seulement avant la date butoir de 2015 pour 60 millions d'enfants qui ne vont pas à l'école primaire et au moins trois fois plus qui ne bénéficient pas de l'enseignement secondaire, il manque encore deux millions d'enseignant(e)s pour que chaque enfant puisse apprendre avec un enseignant(e) qualifié(e).
Le besoin existe également dans les pays de l’OCDE ; et avec la migration et l'intégration, bon nombre d'enseignant(e)s se trouvent face à des enfants provenant d'environnements culturels et linguistiques très variés.
Aucune donnée centralisée, un tableau et une classe renversée peuvent remplacer un(e) enseignant(e) qualifié(e) qui s'implique et agit de manière à approfondir l'apprentissage et la compréhension. Aucun système ne sera à même d'atteindre l'excellence pour assurer que chaque enfant reçoit l'éducation à laquelle il(elle) a droit. Aucun système ultra-performant ne le devient sans un engagement authentique et respectueux envers les enseignant(e)s et leurs organisations.
Le dernier défi que je veux aborder est un point aussi largement documenté qu'ignoré.
La question de la pauvreté
Les générations actuelles doivent faire faire face à des niveaux historiques d'inégalités et de pauvreté. Que les enseignant(e) doivent apprendre aux enfants à lire sans un seul livre ou support électronique ou que, comme l'a relevé le Partenariat mondial pour l'éducation, la pauvreté des enseignant(e)s eux(elles)-mêmes soit l'obstacle... soyons clairs, la pauvreté n'est pas une excuse, c'est un fléau et il faut l'attaquer de front.
La question de la formation pédagogique des enseignant(e)s
L'expansion de l'éducation dans le contexte mondial actuel ne nécessite pas seulement des travailleur(euse)s de la connaissance qui peuvent innover et établir des micro-entreprises, elle nécessite des penseurs critiques, capables de collaborer pour résoudre des problèmes complexes avec des personnes parfois d'un autre sexe, d'une autre culture, d'une autre ethnie ou de convictions totalement différentes. Les défis de la société moderne et la lutte contre l'ignorance et la manipulation nécessitent des personnes capables de lire le monde aussi bien que les mots.
Nous avons besoins d'individus et de communautés capables de modeler, d'inspirer et d'enseigner aux étudiant(e)s pour qu'ils apprennent à apprendre et à appliquer leur apprentissage pour leur bénéfice, celui de leur famille et de la société. Une personne avec un script est un(e) acteur(rice), pas un(e) enseignant(e). Dans notre profession, nous avons besoin d'enseignant(e)s bien formé(e)s, dévoué(e)s, réfléchi(e)s et sérieux(ses).
J'en viens à la campagne que l'IE est fière de lancer aujourd'hui avec la CME pour attirer l'attention sur la pénurie d'enseignant(e)s qualifié(e)s.
Chaque enfant a besoin d’un(e) enseignant(e)
Chaque enfant a droit à une éducation publique de qualité.
Ces sont là des déclarations vraies et pourtant encore des aspirations. Pour l'IE et ses membres, 30 millions d’enseignant(e)s de par le monde, ces deux déclarations sont indissociables et nous travaillerons à leur réalisation au cours des prochaines années. Le droit de chaque enfant à l’éducation se résumera à fort peu de choses si nous ne résolvons pas rapidement la pénurie d'enseignant(e)s qualifié(e)s.
Le droit de chaque enfant à l’éducation ne sera pas une réalité si nous sommes incapables de résoudre les problèmes d'équité et de qualité.
Cela signifie, comme nous dit le rapport, que la communauté mondiale doit d'urgence se concentrer sur le recrutement de plus de 2 millions d'enseignant(e)s qualifié(e)s et sur l'amélioration des compétences, de la connaissance et de l'expérience des enseignant(e)s en activité si nous voulons atteindre d'ici 2015 les objectifs de l'EPT et les OMD (accès, équité et qualité).
Avec nos membres et nos partenaires aux niveaux national, régional et mondial, nous nous engageons à mener cette campagne dans chaque forum et chaque espace possible : du lancement conjoint de cette campagne avec la CME, à notre mouvement pédagogique, en passant par nos Sommets sur les professions enseignantes avec l'OCDE, notre travail au sein du Partenariat mondial pour l'éducation (PME) ; avec l'UNESCO et l'OIT sur le dialogue social ; la Semaine mondiale d'action et la Journée mondiale des enseignant(e)s. Demain, le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki Moon, lancera la campagne « L'Education d'abord » et nous, les éducateurs(trices), nous continuerons notre appel à l'accomplissement des objectifs internationaux pour l'éducation, de l'Education pour Tous et des Objectifs du Millénaire pour le développement. Nous participerons à tous les processus visant à définir l'ordre du jour de l'éducation et du développement après 2015 et à assurer que ce message dépasse les discours politiques paradoxaux à la petite semaine.