Le 17 décembre 2010, dans une petite ville déshéritée de Tunisie, Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur de légumes harcelé par la police, s’immole par le feu. Moins d’un mois plus tard, le 14 janvier, le régime de Ben Ali tombe, provoquant un véritable séisme dans toute la région arabe.
Devenu le symbole de la révolte d’une jeunesse prête à aller jusqu’au bout pour arracher ses droits à la liberté et à la justice, le geste de désespoir de Mohamed Bouazizi le 17 décembre déclenche aussitôt des rassemblements spontanés de jeunes, entourés de syndicalistes et d’opposants locaux.
A Sidi Bouzid, le taux de scolarisation jusqu’au bac est de 95%, mais 50% des diplômés sont au chômage. Malgré la réponse violente des autorités, le mouvement s’étend à d’autres villes de cette région qui garde encore les traces amères de la révolte du bassin minier de Gafsa en 2008, étouffée par la répression. Mais cette fois, les jeunes font aussitôt circuler les images des affrontements sur les réseaux sociaux, la télévision Al-Jeezira les relaie, rien ne parviendra plus à arrêter la révolte.
« Ce mouvement était spontané, mais nous avons décidé de l’accompagner très tôt », raconte Attia Atmouni, syndicaliste enseignant. « Tout le monde s’est identifié à Bouazizi », ajoute Moncef Salhi, également syndicaliste enseignant.
L’armée a défendu la foule
Les 8 et 9 janvier, la police tire à balles réelles à Kasserine, des dizaines de victimes tombent. L’explosion de colère s’étend alors comme une traînée de poudre dans tout le pays, malgré le quadrillage sécuritaire implacable. De sociale au départ, la revendication se focalise sur un mot d’ordre politique commun: « Ben Ali, dégage! ». En refusant d’ouvrir le feu sur les manifestants et en fraternisant avec la population, l’armée fait basculer le rapport de force. Ben Ali a beau lâcher ses milices en rue pour un dernier round de terreur, il capitule et quitte le pays le 14 janvier. La révolution aura fait 219 victimes selon l’ONU.
Le succès de la révolution tunisienne doit beaucoup à l’arme numérique massivement utilisées par les jeunes. Malgré des médias traditionnels bâillonnés de longue date et Internet censuré au plus fort de la révolte, un million et demi d’utilisateurs tunisiens se sont échangés des adresses proxy pour naviguer sur sites interdits, s’échanger des informations, se mobiliser via Facebook.
Le rôle crucial des syndicats
Mais le rôle joué par les syndicats aura été un autre facteur déterminant. Avec 350.0000 adhérents couvrant 64% de la population active et quelque 7.000 syndicats de base et régionaux, l’UGTT a joué un rôle clé pour encadrer la colère populaire, notamment par des grèves tournantes dans les principales villes, rôle relayé activement sur le plan international par le soutien de la CSI et de nombreuses centrales syndicales nationales.
Dans cette période de transition politique et sur fond de difficultés socio-économiques sérieuses, le rôle des syndicats en Tunisie reste fondamental pour assurer la construction d’une nouvelle ère réellement démocratique et porteuse de justice sociale dans cette nouvelle Tunisie qui a déclenché un vent de révolte dans toute la région. Moins d’un mois après le départ de Ben Ali, c’est en Egypte que la mobilisation populaire a renversé à son tour le président Moubarak. Et du Yémen au Bahreïn, en passant par l’Algérie, la Libye et le Maroc, rien ne semble aujourd’hui arrêter toute une jeunesse, de plus en plus éduquée mais privée d’avenir, qui se délie de la peur et se mobilise contre le chômage, la corruption et le manque de libertés.
Par Natacha David, Confédération syndicale internationale (CSI)