Allocution de Fred van Leeuwen, Secrétaire général de l'Internationale de l'Education, lors de la Conférence Amérique du Nord/Caraïbes de l'Internationale de l'Education, tenue à Trinidad et Tobago, le 25 février 2010
1.Je suis convaincu que vous êtes aussi heureux que moi de compter parmi nous, ici, à Port d'Espagne, Jean Lavaud et René Jolibois, les dirigeants du CNEH, notre affilié à Haïti. Depuis le séisme dévastateur qui a frappé Haïti le 12 janvier dernier, la situation de tous nos amis nous inquiète profondément. Et il a fallu plusieurs jours pour retrouver leur trace.
2.Notre soulagement quant à la survie de la plupart des dirigeants nationaux du CNEH a rapidement été éclipsé par la peine et la douleur face aux plus de 200.000 Haïtiens qui ont perdu la vie dans la catastrophe, parmi lesquels probablement plus de 1.500 enseignants. Presque immédiatement, nous avons pu commencer à apporter une aide humanitaire aux enseignants victimes du séisme, ainsi qu'à leurs familles. Dans ce but, nous avons mis en place un fonds spécial qui, grâce à la solidarité des affiliés de l'IE du monde entier, a recueilli jusqu'à présent quelque 230.000 dollars, dont 70.000 dollars ont déjà été utilisés sur place. Je profite de cet instant pour remercier toutes les organisations présentes pour leur générosité.
3.Cependant, outre l'offre d'une aide humanitaire, nous devons également soutenir les efforts du CNEH pour reconstruire le secteur éducatif haïtien. Dans les régions les plus touchées, 90 % des écoles ont été sérieusement endommagées ou complètement détruites. Dans d'autres régions, on en compte 30 à 45 %. Nous savons également qu'il est capital que les enfants reprennent le chemin de l'école dès que possible. La construction d'écoles sûres, le recrutement d'enseignants et des programmes de conseil post-traumatique figurent en haut de notre liste de priorités. Cependant, nos collègues du CNEH souhaiteraient peut-être également discuter du futur visage du système scolaire haïtien, ainsi que du rôle de l'Etat.
4.Comme tout le monde le sait, la qualité et l'accès de l'éducation à Haïti sont des questions problématiques. L'éducation ressemble plus à un patchwork d'initiatives privées éparses. Le rôle du gouvernement est limité, en raison des choix et de l'instabilité politiques d'une part, mais aussi de la pauvreté de l'économie. La détermination de la communauté internationale à aider Haïti à se remettre sur pied peut faciliter la mise en place d'un système d'enseignement public efficace, capable de donner à tous les Haïtiens une chance égale et juste de combattre la pauvreté.
5.Les catastrophes naturelles de l'ampleur de celle qui a frappé Haïti sont exceptionnelles. Cependant, comme nous le savons tous, les Caraïbes, en tant que passage privilégié des ouragans, se partagent une part disproportionnée de ces catastrophes naturelles. Ce n'est pas toujours facile pour les personnes comme nous, membres d’un mouvement persuadé que l'on peut changer le monde grâce à la raison et au pouvoir de l'esprit humain, d'accepter le côté imprévisible des catastrophes naturelles et le caractère aléatoire de la souffrance humaine. Nous comprenons plus facilement les catastrophes et les crises créées par l'homme auxquelles nous sommes souvent confrontés.
6.Oui, nous vivons une époque difficile. La crise économique et financière mondiale –exemple concret de catastrophe créée de la main de l'homme, nous accable toujours. L'impact de cette crise se ressent dans les pays du monde entier. Nous nous trouvons confrontés à une menace sans précédent pour l'éducation et pour nos membres dans le monde entier. Les enjeux sont de taille. En effet, la crise économique et financière vient s'ajouter à d'autres crises créées par l'homme – la crise alimentaire dans de nombreux pays en développement, les mouvements des réfugiés, des migrants ou des travailleurs immigrés, les conflits entre cultures et enfin, dernière mais non des moindres, le réchauffement climatique. Les menaces à la cohésion sociale et au changement démocratique sont réelles. Cependant, c'est également en temps de crise – voire même de crises multiples, comme aujourd'hui –que se créent de nouvelles opportunités, que s'écrit l'histoire. Je crois qu'ensemble, nous pouvons aider à redessiner une nouvelle économie mondiale et oui, une économie nouvelle et plus forte, ici aux Caraïbes et sur le continent nord-américain –érigée sur des fondations plus solides –, basée sur l'éducation, les compétences et les capacités des citoyens, basée sur l'équité et la justice.
7.On m'a demandé d'aborder le thème principal de cette conférence : à l'heure du défi de l'économie, les éducateurs travaillent ensemble pour une éducation de qualité. Pour ce faire, nous devrions revenir en arrière sur les origines de ces défis économiques.
Crise économique – origines
8.Pendant près de trente ans, depuis l'ère Thatcher au Royaume-Uni et l’ère Reagan aux Etats-Unis, la dérégulation du secteur privé et la dévalorisation du secteur public ont fait l’objet d’un consensus mondial. L’essor de cette politique – ou devrais-je dire de cette idéologie – souvent appelée « néolibérale », s’est accéléré avec la chute du Mur de Berlin et la disparition de l’Union soviétique et des économies planifiées dans toute l’Europe de l’Est.
9.Lors du passage à l'an 2000, l'économie mondialisée avait gagné les quatre coins de la planète et nous connaissions alors une croissance économique sans précédent – du moins, pour certains ! Cependant, comme nous l'avions si souvent prédit, nous avons également assisté à un approfondissement des inégalités. Je peux vous montrer de nombreuses déclarations dans lesquelles le mouvement syndical international, dont l'IE, avaient prévenu que la cohésion sociale avait atteint ses limites, et que le boum économique n'allait pas durer à cause de dangereux déséquilibres.
10.Premièrement : les déséquilibres mondiaux. Pour faire court, la dette nationale des Etats-Unis, qui avait augmenté de façon spectaculaire sous l'administration Bush, à la suite des réductions d'impôts et de la guerre en Iraq, avait été financée par la Chine, grâce à son excédent commercial massif. Mais cette situation n'était pas viable à long terme.
11.Ensuite, les déséquilibres entre le secteur financier et l'économie réelle. Aux Etats-Unis, Wall Street s'est différencié de Main Street. Les banquiers, souscripteurs privés et spéculateurs boursiers avaient pu gagner beaucoup d'argent en concluant des affaires qui avaient souvent fait tomber des sociétés réelles et avaient fait perdre leur travail à de nombreux employés. Les fonds de pension des travailleurs avaient été utilisés pour financer la majeure partie de ces affaires ! Certains pays de cette région avaient également été pris dans ces combines créées par ces acrobates de la finance, parfois sans même s'en rendre compte !
12.En troisième lieu, le déséquilibre entre le pouvoir de négociation et les revenus des employeurs et des employés. Là où la négociation collective était affaiblie, on a pu assister à une diminution du pouvoir d'achat. Mais les gens ont continué de consommer. Bien vite, leur consommation n'était plus financée par leur salaire, mais plutôt par les dettes qu'ils contractaient grâce aux plans de ces sorciers de la finance.
13.A l'automne 2008, la croissance économique a fini par s'essouffler ! Depuis lors, une grande majorité de personnes paie le prix de la cupidité et de la folie de quelques-uns.
14.Une relance mondiale durable ne sera possible qu'une fois que l'on aura remédié à ces trois déséquilibres. Au jour d'aujourd'hui, les perspectives ne sont pas encourageantes. Le secteur financier, sauvé par l'argent du contribuable, retourne maintenant à ses activités habituelles. Les marchés boursiers sont en hausse. De nombreuses banques ont fait faillite. Rien qu'aux Etats-Unis, on en compte 87. Les géants bancaires, quant à eux, sont retournés à leurs activités et continuent de verser des primes astronomiques à leurs opérateurs de marché et directeurs généraux. Pendant ce temps, l'économie réelle a besoin de beaucoup plus de temps pour nettoyer les dégâts laissés par la tempête.
15.L'OIT, le FMI et l'OCDE considèrent tous trois que le chômage va continuer de progresser. L'OIT estime que, dans le monde entier, 50 millions de personnes vont perdre leur emploi à la suite de la crise et que le nombre d'emplois précaires va croître rapidement, surtout en ce qui concerne les femmes. Selon la Banque mondiale, 200 millions de personnes supplémentaires tomberont en dessous du seuil de pauvreté. La justice sociale dans le monde rétrograde, elle ne progresse pas.
16.Des millions et des millions de familles qui travaillent dur en paient le prix, perdant à la fois emploi et maison. Dans les pays émergents, des millions et des millions de familles se retrouvent de nouveau dans la pauvreté. De plus, la situation des plus défavorisés, j'entends par là les habitants des pays à faible revenu, va empirer à mesure que les pays du Nord tenteront de trouver un moyen de se sortir de la crise.
17.Et pourtant, voici le message que je voudrais faire passer aujourd'hui, ce sont ces personnes les plus touchées par la crise, au Sud comme au Nord, qui détiennent la clé de la relance mondiale.
L'éducation : la clé de la relance
18.Et c'est là que nous intervenons. L'Education pour Tous (EPT), une éducation de qualité pour tous les enfants et tous les jeunes, représente réellement l'une des clés de la relance de toutes les nations. C'est le message que nous devons transmettre aux dirigeants politiques du monde entier. Nous devons leur faire comprendre que ce n'est pas le moment de faire des économies sur l'éducation, mais au contraire, de maximiser les investissements.
19.Cependant, malgré cette vérité irréfutable, à court comme à moyen terme, nombre de nos écoles sont menacées par des réductions budgétaires, et de nombreux membres risquent de perdre leur emploi. Et par dessus tout, les pays en développement risquent d'être très lourdement frappés par l'amenuisement des flux financiers provenant des pays du Nord. Selon la Banque mondiale, en 2009, les flux de capitaux privés en faveur des pays en développement s'élèveront à un quart du niveau de 2007. Un quart !
20.Ce sera donc un coup dur pour le secteur public. Etant donné que les gouvernements mettront tout en œuvre pour réduire le déficit causé par le sauvetage des banques, il faudra s'attendre à ce que 2010, 2011 et 2012 soient des années de privation pour le secteur public.
21.A l'Internationale de l'Education, nous considérons que qu'éducation et société vont de pair. Nous pensons que l’éducation constitue un droit de l’homme, un bien public et non un produit. Nous plaidons avec ferveur en faveur d'investissements dans nos systèmes d'enseignement public et ce, sur des bases morales.
22.Nous ne devons pas perdre de vue un autre argument de taille : il n'existe aucune autre stratégie pour relancer le développement économique que d'investir dans l'éducation. En effet, nous n'avons pas le choix. Pour suivre le rythme des développements économiques mondiaux, où le succès dépend des connaissances et des compétences, ainsi que d'une population bien éduquée, l'éducation doit être placée au cœur des politiques gouvernementales. Des économistes de renom ont calculé que chaque dollar investi dans l'éducation générera entre 8 et 12 pour cent de revenu ! Les écoles et autres établissements éducatifs existent au sein des communautés de toute nation. En ces temps de crise, maintenir voire même augmenter le nombre d'emploi au sein de ces dernières, profitera à chaque communauté. Dans le cadre des plans de relance économique nationaux, l'inclusion de nouvelles ressources dans le personnel éducatif générera un impact fiscal immédiat et positif.
23.Nous nous engageons aujourd'hui à défendre les ressources en faveur de l'éducation. Chacun dans cette salle partage cet engagement. Mais nous devons nous montrer réalistes : les pressions sur les budgets publics vont être de plus en plus fortes. C'est pourquoi il ne suffira pas de défendre les ressources pour l'éducation, nous devons également lancer l'offensive, nous montrer proactifs.
24.Notre message est le suivant : l'éducation fait partie de la solution. Dans le domaine de l'éducation, investir dans les personnes constitue la stratégie la plus intelligente pour relancer l'économie.
25. Les nations qui souhaitent bâtir une relance durable doivent investir : dans l'enseignement primaire et secondaire pour nos futures générations ; dans l'enseignement et la formation professionnels. Quand on est en récession économique, il est temps d'intervenir : dans l'éducation de la petite enfance, pour un départ égal pour tous les enfants et l'équité pour les familles, dont les familles monoparentales ; dans l'enseignement supérieur et la recherche, afin de maintenir les normes d'excellence et la capacité d'innovation ; et enfin, mais pas dans la moindre mesure, dans la formation des enseignants.
26.L'IE plaide ardemment en faveur de ces positions auprès de toutes les grandes institutions et rencontres internationales – le FMI, la Banque mondiale, l'OIT, l'OCDE et l'UNESCO. La rencontre des dirigeants du G8, qui s'est tenue il y a huit mois en Italie, a relancé deux principaux messages de l'IE : « Investir dans l'éducation et le développement de compétences constitue un élément vital à la relance économique » et « Nous affirmons le droit à l'éducation pour tous ». Cela ne s'est pas produit par hasard, mais grâce au travail acharné que nous avons réalisé avec nos partenaires – les syndicats mondiaux et la Campagne mondiale pour l'éducation.
27.Cependant, nous savons tous qu'il y a un fossé énorme entre les mots et les actions. En janvier 2009, les dirigeants de la Banque mondiale et du FMI ont appelés à la relance mondiale. Le directeur du FMI a notamment appelé à accroître les investissements dans les services publics, dont l'éducation. Super, nous sommes-nous dit ! Le FMI semble changer.
28.Mais nous avons souligné à plusieurs reprises qu'il y avait une contradiction notoire entre les appels des dirigeants du FMI en faveur d'une relance par le biais du secteur public, et les plafonds budgétaires, dont les plafonds des salaires du secteur public, imposés aux pays par les conditions du FMI. De nombreux pays des Caraïbes, dont la Jamaïque et les Caraïbes orientales, subissent actuellement les pressions du FMI. Il n'est pas rare non plus que la Banque mondiale ne mette pas en pratique ce qu'elle prêche. Tandis que nous sommes parvenus à un consensus avec les dirigeants de la Banque à Washington sur l'importance vitale d'un investissement dans une éducation de qualité en insistant sur formation de qualité pour les enseignants, elle continue de soutenir l'afflux d'enseignants non qualifiés dans nos systèmes éducatifs. Il est de notre devoir de relever ces contradictions et de pousser nos dirigeants politiques à agir.
29.Cette année, le Canada accueillera à la fois le G8 et le G20. Si nous avons réussi à faire en sorte que le G8 fasse au moins les bonnes déclarations au regard de l'éducation, les sommets du G20 – Washington, Londres, Pittsburgh – étaient tous axés sur la réponse à la crise financière. Ils ont porté peu d'attention à l'éducation. A l'heure actuelle, le défi est pour nous de nous assurer qu'à dater d'aujourd'hui, l'éducation figure bien à l'ordre du jour du G20. Nous y veillerons de près par le biais de nos deux grandes coalitions – les syndicats mondiaux et la Campagne mondiale pour l'éducation – afin que cela soit considéré comme une priorité majeure lors du G20.
Investir dans les enseignants
30.Je voudrais toutefois souligner que toutes nos demandes en faveur d'un investissement dans l'éducation, la formation, le recrutement et la rétention d'enseignants qualifiés constituent indubitablement les requêtes les plus urgentes. On note aujourd'hui une pénurie croissante d'enseignants et ce, dans le monde entier. Les dernières prévisions de l'UNESCO indiquent quelques améliorations. Cependant, 10,3 millions d'enseignants primaires doivent encore être recrutés dans le monde d'ici 2015 – afin de permettre les départs en retraite et l'attrition normale, et de disposer d'assez d'enseignants pour parvenir à une Education primaire universelle pour tous. Les pays d'Amérique du Nord et des Caraïbes sont moins touchés que les pays d'Afrique subsaharienne et d'Asie du Sud, mais à l'ère de la mobilité, cette pénurie se ressent également dans cette région. Outre les enseignants de primaire, le monde a besoin de millions d'enseignants du secondaire, dans l'enseignement professionnel et supérieur.
31.Dans de trop nombreux cas, les Etats ont répondu à ces besoins par des raccourcis budgétaires, allant de la diminution de l'année scolaire au recrutement d'enseignants non qualifiés, en les mettant face aux élèves sans aucune préparation adéquate ni pratiquement aucune perspective de développement professionnel. De telles décisions ne jouent pas en faveur des générations futures. Pour la plupart des pays à faible revenu, le risque majeur est aujourd'hui de creuser davantage le fossé de l'inégalité au regard de l'éducation. On doit leur donner une chance de recruter et de préparer des enseignants de qualité pour une éducation de qualité. C'est l'une des questions clés auxquelles nous répondons aux côtés de la Banque mondiale et des autres agences.
32.L'un des facteurs clés est de retenir les enseignants dont nous disposons, et notamment d'améliorer les taux de rétention parmi les jeunes enseignants. Il s'agit d'un problème majeur dans de nombreux pays. Les programmes de développement efficaces pour les enseignants sont par exemple déterminants pour permettre à ces jeunes personnes de prendre un bon départ et d'envisager leur avenir dans la profession.
33.Mais ne nous faisons pas trop d'illusions. Pour citer la Commission internationale sur l'éducation pour le XXIe siècle de l'UNESCO, l'enseignement est la plus noble des professions. Mais c'est également une profession difficile, en particulier au début. Les défis et les réalités de l'enseignement dans le monde actuel peuvent en décourager plus d'un. Trop de nos jeunes enseignants abandonnent en cours de route. Nous devons les aider à surmonter ces défis, et à poursuivre pour devenir d'excellents enseignants dispensant un enseignement de qualité aux élèves des nouvelles générations.
34.Les Caraïbes se retrouvent aujourd'hui face à un défi du même type – le recrutement d'enseignants d'ici dans des pays tels que les Etats-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, pour combler leur propre pénurie d'enseignants. La mobilité mondiale peut être une bonne chose. Mais elle doit être équitable. La fuite des cerveaux n'est pas équilibrée par l'afflux de cerveaux, les pays à faible revenu sont pénalisés, ce qui se répercute sur les élèves.
35.C'est également la raison pour laquelle nous soutenons le Protocole du Commonwealth sur le recrutement des enseignants. Voyant leurs enseignants qualifiés partir pour l'Europe, les Etats-Unis et le Canada doivent compenser cette perte. Nous devons cependant nous assurer que les enseignants partant pour ces pays soient protégés de l'exploitation. Je peux vous donner des exemples terrifiants de collègues qui pensaient que l'herbe serait plus verte au Nord, et qui se sont retrouvés à des postes à bas salaire, entassés dans de lugubres dortoirs. Je sais que nos collègues de l'American Federation of Teachers font tout ce qu'ils peuvent pour améliorer la situation des enseignants philippins et lutter contre les pratiques de recrutement abusives souvent utilisées.
36.Je crains qu'en ne parvenant pas à retenir nos enseignants, en n'accordant pas assez d'importance au développement de programmes de formation d'enseignants de haute qualité, de programmes initiaux comme de formation continue, nous ne parvenions pas à réaliser une Education pour tous de qualité, pas avant 2015, ni même avant 2025. Nous ne serons tout simplement pas capables de tenir notre promesse aux futures générations.
37.Nous avons demandé à l'UNESCO ainsi qu'à la Banque mondiale de commencer à évaluer les capacités existantes en matière de formation des enseignants et de l'offre potentielle d'enseignants qualifiés pour 2015 et les années qui suivront, et qu'ils impliquent les syndicats d'enseignants dans le cadre de ces analyses de façon qu'une recherche commune de solutions puisse reposer sur une compréhension commune de ces questions.
38.Nous devrions envisager le recrutement au-delà des frontières des Etats dans les pays fédéraux, ou entre les pays d'une même sous-région. Les établissements de formation des enseignants mis en place sur une base sous-régionale, comme ici aux Caraïbes, proposent un modèle utile pouvant être introduit dans d'autres régions du monde.
39.A ce propos, je soulignerais que les syndicats d'enseignants ont un rôle capital à jouer dans l'élaboration et le contrôle de normes professionnelles. Oui, nous sommes des syndicats, préoccupés par les termes et conditions d'emploi de nos membres, mais nous sommes également des gardiens de la profession. Et le risque de déprofessionnalisation résultant de réponses inadéquates aux graves pénuries d'enseignants actuelles, est très réel et ne doit ainsi pas être sous-estimé.
Réaliser les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) : l'Education pour Tous
40.Chers collègues, il ne nous reste plus que cinq ans avant 2015. Y aura-t-il une école et un enseignant qualifié pour chaque enfant né aujourd'hui lorsqu'il atteindra l'âge de cinq ans en 2015 ? J'en doute. Nous ne sommes pas du tout sur la bonne voie. Bien sûr, nous avons fait quelques progrès depuis Dakar, en 2000. Mais nous ne devons pas nous laisser aveugler par les statistiques de scolarisation, aussi impressionnantes soient-elles. Comme nos dirigeants politiques semblent parfois l'oublier, l'éducation, c'est bien plus que de mettre autant d'enfants que possible dans salle et d'appeler ça ensuite une école.
41.Ceci étant dit, il est important d'ajouter qu'en regardant l'indice de développement de l'EPT (IDE), de nombreux pays des Caraïbes s'en sortent plutôt bien. Aruba se place le mieux dans cet indice – numéro 29 –, avant la Suisse, la République tchèque et la Hongrie. Il est suivi par le pays qui nous accueille aujourd'hui, Trinité-et-Tobago (57), ainsi que par Sainte-Lucie (60). Parmi les pays de niveau intermédiaire de l'IDE, on retrouve la Barbade (64), les Bahamas (73), de même que Belize (80) et Saint-Vincent (82). En dépit du fait que le Rapport de suivi mondial ne dispose d'aucune donnée sur Haïti, aucun des pays des Caraïbes ne se retrouve dans le groupe des pays loin de parvenir à l'EPT.
42.Ces indices sont intéressants, mais ils sont une nouvelle fois encore à considérer avec précaution. Par exemple, selon les informations dont nous disposons, il n'y a à ce jour aucune garantie légale d'une éducation (primaire) gratuite (pour 2007) aux Bahamas, en Dominique, à Haïti, à Grenade, en Jamaïque, à Saint-Christophe-et-Nevis, à Sainte-Lucie et à Saint-Vincent. De plus, dans de nombreux pays, la pression de la privatisation ou de la commercialisation des services d'éducation représente une menace réelle. Ces indices ne mesurent pas non plus les questions de qualité telles que l'état désastreux des établissements scolaires et le manque de matériel pédagogique.
43.Nous savons tous que dans les pays développés comme dans les pays en développement, nous sommes confrontés à des déficits de qualité en matière d'éducation. Lorsqu'il s'agit de la qualité de l'éducation, nous ne parlons pas toujours la même langue. Je comprends que nos collègues du Belize protestent actuellement contre le plan gouvernemental afin d'interdire la punition corporelle...
44.Dans les pays industrialisés, nous savons qu'il y a un sérieux manque de compétences. D’une part, on observe de graves problèmes d'abandon de la scolarité et de chômage chez les jeunes, notamment au sein des minorités et des communautés immigrantes. D’autre part, les employeurs se plaignent de ne pas trouver de jeunes disposant des compétences nécessaires. Aux Etats-Unis, la National Education Association travaille avec nombre de ces sociétés dans le cadre de leur Partenariats pour les compétences du XXIe siècle, le fameux projet P21. L'IE a entamé des discussions avec de grandes corporations dans le cadre du Forum économique mondial, qui s'est tenu le mois dernier, à Davos. Au mois d'avril, le Président Obama organise une rencontre des ministres du Travail à Washington, afin de traiter cette question, ainsi que celle du rôle des compétences et de la formation pour une relance durable. L'IE travaille en étroite collaboration avec nos partenaires des syndicats mondiaux et l'OIT dans le cadre du programme Upskilling out of the downturn (renforcer les compétences pour sortir de la crise).
45.Nous le rappelons sans cesse, mais n'oublions pas non plus les conditions de travail de nos collègues dans l'enseignement et la formation professionnels. La nouvelle tendance – que nous saluons toutefois – visant à mettre l'accent sur les compétences et la formation, ne suscitera aucun changement réel à moins que les gouvernements et le secteur privé n'acceptent de négocier de bonnes conditions pour les personnes travaillant dans ce secteur. Le groupe de travail de l'IE sur l'enseignement et la formation professionnels travaillera cette année sur cette question aux côtés de l'Organisation internationale du Travail. L'enseignement et la formation professionnels représentent également un secteur vital dans les économies émergentes et en développement. Avec l'Education pour Tous, l'enseignement et la formation professionnels sont l'une des clés qui permettront de combler le fossé entre le Nord et le Sud. Si nous pouvons adopter la bonne cohérence politique grâce au G20, à l'OIT, l'OCDE et à la Banque mondiale, le secteur de l'enseignement et la formation professionnels deviendra un secteur de croissance dans tous les pays et ce, au Nord comme au Sud. Il incombera alors aux affiliés de l'IE d'organiser les membres dans ce secteur de croissance, ce qui représentera un défi majeur.
Une nouvelle architecture mondiale
46.Bien entendu, le financement de l'éducation constitue l'un des facteurs clés. De nombreux pays sont confrontés à des difficultés persistantes, notamment au regard d'une fiscalité et de revenus inadéquats, qui constituent des éléments essentiels pour envisager une approche à long terme du financement de l'éducation. Dans le cadre des mesures requises pour la relance de l'économie, le Directeur du FMI, Dominique Strauss Kahn, a une nouvelle fois demandé aux gouvernements de dépenser dans les secteurs de la santé et de l'éducation. Mais l'exhortation à elle seule ne suffit pas. Les pays les moins développés ne peuvent tout simplement pas le faire seuls dans un avenir incertain. D'autres pays en développement ont besoin d'être soutenus par le biais de mécanismes mis en place avec le soutien de la communauté internationale. Ce soutien doit être maintenu avec le temps. L'engagement à court terme n'est pas suffisant.
47.Il serait nécessaire de mettre en place une nouvelle architecture mondiale visant à structurer et à mobiliser le soutien international en faveur de l'éducation, à innover dans la mobilisation des ressources et en même temps à accueillir des approches créatives pour une allocation plus efficace des ressources. Il faudrait totalement repenser les éléments requis pour que le travail soit fait. Ce travail, c'est tout d'abord la réalisation de l'OMD d'une Education de base pour tous, d'ici 2015.
48.Mais même si cet objectif majeur était atteint, il resterait encore bien plus à faire pour développer l'enseignement secondaire, l'enseignement et la formation professionnels, ainsi que l'enseignement supérieur, afin que les citoyens de tous les pays puissent bénéficier de bonnes chances de prendre part à l'économie mondiale du XXIe siècle.
49.Cette nouvelle architecture mondiale devrait être régie par les principes d'inclusion plutôt que par les politiques d'exclusion. La proposition du Fonds mondial pour l'Education, initié par le gouvernement américain, recèle la promesse d'une nouvelle approche de ce type. Le Président Obama et la Secrétaire d'Etat Clinton ont prononcé des déclarations intéressantes à cet égard. Mais nous avons la forte impression que les autres pays attendent un suivi sur la promesse de campagne de 2 milliards de dollars US, pour que ce fonds soit lancé.
50.Aujourd'hui, une part importante du financement de l'EPT est, comme vous le savez, coordonnée par l'Initiative Fast Track. A l'heure actuelle, la Banque mondiale est l'agence principale responsable de l'octroi des financements de l'Initiative, malgré un système à la fois lourd et compliqué. Nous devons envisager des alternatives, dont les organisations de la société civile et les organisations non gouvernementales, les autres donateurs bilatéraux, les agences onusiennes et les partenariats avec le secteur privé dans les cas où cela semble plus sensé que de passer par la Banque mondiale.
51.Les gouvernements nationaux et locaux devraient pouvoir choisir l'agence la mieux placée pour octroyer les financements nécessaires de façon efficace. L'un des objectifs majeurs de l'octroi de financements est de trouver le bon équilibre en termes de cohérence générale (par exemple, en veillant à ce que tous les pays soient traités de façon équitable) et de flexibilité. C'est ici que le Fonds mondial pour l'Education peut jouer un rôle important, au-delà de l'optimisation des ressources.
52.Il est également temps de réaligner les responsabilités entre les agences intergouvernementales, en réaffirmant le rôle clé de l'UNESCO en tant qu'organisation des Nations Unies pour l'éducation, à condition que l'UNESCO dispose des capacités nécessaires et s'engage auprès de la société civile, conformément à ses propres procédures en place. Il faudrait également mettre en place un partage des tâches avec les agences de financement, dont la Banque mondiale, et encourager le renforcement des efforts plutôt que la duplication des efforts.
Mobilisation
53.A l'heure actuelle, 75 millions d'enfants se voient toujours refuser leur doit à l'éducation. La clé du droit à l'éducation de chaque enfant est bien entendu la mobilisation – unir nos plaidoyers mondiaux aux actions nationales et locales en se concentrant sur deux objectifs : l’investissement dans une éducation publique de qualité, et la Réalisation des OMD, notamment l'Education pour tous.
54.Nous devons agir dans chaque nation, afin d'encourager l'opinion publique à soutenir ces deux causes. L'an dernier, l'IE a lancé un Plan d'action mondial que je vous résumerai rapidement. L'IE recommande aux syndicats d'enseignants de :
1 Déterminer les besoins
Collecter des informations relatives aux besoins du personnel du secteur de l'éducation – pour l'enseignement et les autres emplois dans les écoles, les établissements d'enseignement professionnel et autres institutions éducatives.
2 Invoquer des plans nationaux
Présenter ces plans aux autorités, aux organisations alliées et amicales, dont les syndicats de parents, d'étudiants et autres, et les média.
3 Faire campagne pour engager, et non licencier
Inviter les autorités à travailler avec les syndicats du secteur de l'éducation à maintenir les niveaux existants d'enseignants et de personnel de soutien, et à prévoir des plans visant à former et recruter le personnel enseignant nécessaire en vue de fournir une éducation de qualité dans des écoles sûres.
4 Maintenir la pression pour réaliser les OMD
Rappeler aux gouvernements et à l'opinion publique qu'il est vital de ne pas perdre de vue l'objectif des Objectifs du Millénaire pour le développement, et notamment l'Education pour tous, pour la relance mondiale.
Rôle particulier des syndicats d'enseignants
55.L'Internationale de l'Education a sa propre vision des choses. Cette vision englobe les principes de démocratie, d'équité et d'égalité des chances, de non discrimination et de justice sociale. Ils sont à l'antithèse des idéologies fondées sur l'autoritarisme d'un côté, ou sur la poursuite avide et effrénée de l'intérêt personnel de l'autre. Ils incluent les concepts de solidarité et de responsabilité collective, mais également de liberté individuelle. Ils reposent sur la notion de respect des droits humains fondamentaux. Prises ensemble, ces valeurs constituent la base de la défense de l'enseignement public de l'IE – une éducation pour tous de qualité et pour tous.
56.Ils offrent une base commune sur laquelle nous pouvons construire notre collaboration avec les gouvernements, les agences internationales et surtout, avec l'opinion publique via les média. Ils offrent une base de mobilisation, au-delà des rangs des éducateurs, afin d'intégrer d'autres acteurs clés, dont les parents, les syndicalistes et les militants des organisations de la société civile. Ils constituent également une base au dialogue pour les acteurs économiques de la société, notamment les organisations dans les secteurs des affaires et de l'industrie.
57.Chers collègues, il est plus que jamais temps pour nous de réaffirmer le potentiel de nos pays à bâtir un nouvel avenir pour leurs citoyens et ce, grâce au pouvoir de l'éducation.
58.J'ai commencé en disant que nous vivions une époque difficile. Je conclurais en disant que cette époque montrera également clairement que le mouvement syndical sera capable de faire la différence, tant à l'échelle nationale qu'internationale. Etant donné le caractère mondial des défis que nous devons affronter, l'action de la Confédération syndicale internationale est plus importante que jamais. Nos affiliés au Canada, aux Etats-Unis comme dans toute la région des Caraïbes, ont très bien compris cela. Je salue vos organisations, vos dirigeants, pour votre engagement actif et pour le rôle que vous jouez au sein du mouvement international enseignant.
59.Les syndicats d'enseignants jouent aujourd'hui un rôle particulier étant donné que nous réunissons les syndicalistes qui s'engagent en faveur d'une justice sociale, et les éducateurs qui s'engagent à donner de l'espoir aux nouvelles générations d'enfants et de jeunes. Il est dur d'imaginer défis plus exigeants. Mais en unissant nos plaidoyers mondiaux avec votre mobilisation nationale, nous pouvons montrer que nous sommes à la hauteur.
60.Cette conviction – que nous pouvons faire la différence – doit être notre moteur. Une éducation publique de qualité et la solidarité sont de puissantes armes. La solidarité entre les nations, la solidarité entre les syndicats, la solidarité entre les personnes. Et une éducation de qualité pour tous. C'est le défi qui attend l'IE à l'échelle mondiale et chacun des syndicats affiliés à l'échelle nationale. C'est le défi qui attend aujourd'hui la région Amérique du Nord/Caraïbes. Il n'y a pas de temps à perdre.