Une enquête menée par un avocat courageux spécialiste des droits humains a révélé que l'appel de la condamnation à mort prononcée à l'encontre du syndicaliste enseignant iranien Farzad Kamangar avait été mis de côté par l'un des procureurs iraniens les plus redoutés.
Farzad Kamangar vit depuis février 2008 dans l'attente de l'exécution de sa condamnation à mort qui fut prononcée à l'issue d'un procès qui dura moins de cinq minutes. Bien que les autorités aient accepté cet appel, l'affaire est restée au point mort alors qu'elle aurait dû être soumise à l'examen de la Cour suprême. Suite à de nombreux reports frustrants et des demandes répétées, son avocat Khalil Bahramian a été informé que le dossier avait été égaré.
« Il y a deux jours, je me suis rendu au bureau du procureur de Téhéran et j'ai insisté pour obtenir des clarifications sur l'affaire de Farzad», a déclaré Khalil Bahramian à l'IE le 3 février 2010. «Nous avons finalement trouvé le dossier dans le casier personnel du procureur précédent, Saieed Mortazavi. »
Le précédent procureur général de Téhéran, Saieed Mortazavi, a été accusé à plusieurs reprises de graves violations des droits de l'Homme. En janvier, le Parlement iranien l'a désigné comme principal coupable de la mort de trois manifestants arrêtés lors d'une manifestation postélectorale l'an dernier. L'emprisonnement de journalistes et la fermeture de plus de 100 journaux lui ont également valu le surnom tristement célèbre de 'boucher de la presse'. Le gouvernement canadien a demandé son arrestation dans le cadre de la torture et l'assassinat de Zahra Kazemi, une photojournaliste irano-canadienne décédée dans la prison d'Evin, où Farzad Kamangar est actuellement détenu.
Il semble que, dans l'affaire Kamangar, Saieed Mortazavi ait simplement décidé de dissimuler les preuves innocentant un homme injustement condamné.
L'affaire remonte à juillet 2006, lorsque Farzad Kamangar a été arrêté pour la première fois et accusé de mise en danger de la sécurité nationale et moharebe, hostilité à Dieu. L'accusation a également affirmé qu'il était membre du Kurdish Workers' Party (PKK).
« Rien dans les dossier et casier judiciaires de Farzad Kamangar ne démontre un lien avec les accusations dont il fait l'objet », a indiqué Khalil Bahramian, qui est persuadé que les problèmes de son client sont dus à son action de défense des droits de la minorité kurde. Kamangar a été enseignant pendant 12 ans dans une zone rurale de la province du Kurdistan, où il joué un rôle actif au sein de l'antenne kurde du syndicat des enseignants, jusqu'à que celui-ci soit déclaré illégal.
Pendant toute l'année 2007, Farzad Kamangar a été détenu dans divers centres de détention, où il fut maltraité, soumis à l'isolement cellulaire pendant des mois et torturé à plusieurs reprises par les autorités carcérales afin de le faire avouer.
Il a été jugé en février 2008. Le procès a eu lieu en secret et dura moins de cinq minutes, sans que son avocat n'ait été autorisé à prendre la parole. Le juge a prononcé la sentence sans aucune explication. Khalil Bahramian affirme que le procès à huis clos est contraire au droit iranien qui stipule que ce type d'affaires doit être jugé publiquement par un jury. Pourtant, la Cour suprême a confirmé la peine de mort en juillet 2008.
Depuis la destitution de Saieed Mortazavi, un autre procureur est chargé de l'affaire. Bien que ce développement semble à première vue positif, rien n'est acquis. Compte tenu du nombre croissant de postes de pouvoir et d'influence occupés par des radicaux dans le système judiciaire iranien, la situation des syndicalistes et autres prisonniers politiques est devenue de plus en plus difficile, a déclaré Khalil Bahramian.
Il a indiqué que Farzad était détenu dans la prison Evin de Téhéran dans un quartier rassemblant les prisonniers ordinaires et politiques. La cellule de Farzad est munie d'une fenêtre et de deux lits superposés. Malgré l'absence d'équipement, il essaie de faire de l'exercice dans sa cellule et a droit à deux douches par semaine.
L'état de santé général de Farzad est mauvais pour plusieurs raisons : les conséquences physiques à long terme de la torture dont il a fait l'objet; le stress psychologique intense causé par sa condamnation à mort; la piètre qualité de l'alimentation en prison qui est déficiente en protéines et vitamines; et les températures, souvent basses, qui permettent une diffusion rapide des maladies contagieuses entre détenus.
Malgré tout, Farzad s'emploie à garder le moral. Il étudie le droit par l'intermédiaire de l'université Payam e Nour, qui propose des programmes d'éducation à distance. L'accès à l'information est toutefois très limité. Seuls les livres sélectionnés et les journaux favorables au gouvernement sont disponibles dans la prison.
Les visites de parents proches sont autorisées une fois par semaine mais ne se prêtent pas aux conversations d'ordre privé, en raison de la présence d'un gardien de prison à toutes les visites. Khalil Bahramian a déclaré qu'il fait attention à ne jamais laisser le gardien entendre les conseils juridiques qu'il donne à Farzad.
« Il est important de remarquer que la détention constitue en soi une forme de torture, en particulier dans le cas de Farzad, dans la mesure où il redoute l'exécution de sa condamnation à mort à tout instant », a déclaré Khalil Bahramian.
Interrogé sur l'impact positif de la pression de la communauté internationale dans l'affaire de Farzad, Khalil Bahramian a répondu : « Tout à fait, cela a un impact important et complètement positif. Je suis seul et j'interviens en tant qu'avocat, mais le mouvement des enseignants du monde entier a joué un rôle très important dans le fait qu'il est toujours en vie. La campagne devrait se poursuivre. »
Pendant ce temps, Khalil Bahramian poursuit le travail solitaire et dangereux qu'est la défense des droits humains en Iran.
« Peu d'avocats prennent le risque de défendre des affaires telles que celle de Farzad. Il est évident que nous courons de graves risques », a-t-il dit. « Les avocats des droits humains font l'objet de fortes pressions, mais nous devrions soutenir les personnes et défendre les droits des citoyens. Le fait que ma voiture a été incendiée ou toute autre pression contre moi m'importe peu, mais je dois dire que les membres de ma famille souffrent plus que moi. »
L'Internationale de l'Education continue à appeler le gouvernement iranien à commuer la condamnation à mort de Farzad Kamangar et est intervenue auprès du Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies dans le cadre de la procédure d'examen périodique universel. Par ailleurs, les affiliés du Royaume-Uni et des Etats-Unis ont écrit à leurs Secrétaires d'Etat respectifs, David Miliband et Hillary Clinton, pour leur demander d'aborder l'affaire de Farzad Kamangar avec les autorités iraniennes.