Monsieur le Secrétaire général, chers Ambassadeurs, chers Collègues,
Le message de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) pour une économie plus forte, plus propre, plus équitable est formidable. Le problème, bien sûr, c’est de savoir comment y parvenir. Le programme cadre du G20 pour une croissance forte, durable et équilibrée représente peut-être les premiers pas vers l’aboutissement de ce projet. Mais pour le moment il s’agit principalement d’un slogan plutôt que d’un programme. La proposition faite par l’OCDE de mettre en place un observatoire ou un système, pour maintenir la cohérence des politiques entre les diverses organisations impliquées dans ce programme, est logique. Mais pour que cela marche, il faut que l’« observatoire » et les six organisations qui y sont liées s’engagent à collecter dès le début le plus possible d’informations et de conseils de qualité. A cette fin, ils doivent s’engager à chercher activement les données critiques (dans les deux sens du terme car les données critiques sont nécessaires, et il est critique de les détenir), qui sont représentatives des conditions des travailleurs et des entreprises. L’OCDE est bien placée pour s’en assurer à travers la Commission syndicale consultative (CSC), le Comité consultatif économique et industriel (BIAC) et leurs organisations partenaires, tout comme l’Organisation internationale du travail, l'OIT, l'est à travers la Confédération syndicale internationale (CSI) et l’Organisation internationale des employeurs (OIE) par exemple.
La solution pour aller vers le « plus solide » et le « durable », est l'« équilibré ». Le déséquilibre mondial sous-jacent au début de la crise a fait beaucoup parler et couler beaucoup d’encre. En fait il s’agissait d’une conjonction de déséquilibres. Avec le déséquilibre mondial du commerce, de la consommation, de l’épargne et des dettes, nous savons maintenant que l’économie financière était en décalage total avec la réalité de l’économie. Nous avions une disparité énorme entre les richesses et les revenus qui augmentait et était liée au déséquilibre du pouvoir de négociation. Ce qui est fondamental, c’est que tous ces déséquilibres ont permis à un petit nombre de réaliser d’énormes profits, alors que la majorité des gens se raccrochaient péniblement à des emplois de plus en plus rares et à des rémunérations de plus en plus précaires.
Depuis 25 ans, nous avons eu en plus un autre déséquilibre : celui du désaccord entre le secteur privé et le secteur public, alimenté par l’idéologie que le gouvernement représentait plus un problème qu’une solution et celui de la politique populiste de réduction des impôts. Trouver le juste milieu entre le marché, prestataire, d’une part, et le secteur public, régulateur, d’autre part, et le juste milieu entre la distribution des ressources à des fins publiques et la réalisation des profits à des fins privées, relève du défi. Comme le déclare Joseph Stiglitz : « Il nous faut repenser complètement le rôle des gouvernements et du marché ».
Ces déséquilibres sont tous liés et, à l’instar d’un phénomène météorologique, nous avons été frappés par une tempête planétaire. Lors de la prochaine session, nos collègues de la CSC aborderont un des thèmes fondamentaux du déséquilibre, qui est l’augmentation des injustices.
Il y a un an, lorsque la tempête a frappé on a beaucoup parlé de changement fondamental des concepts. Effectivement il y a bien eu un changement fondamental des concepts, mais pas comme on s’y attendait ! Nous n’avons pas adopté un concept plus nouveau et plus harmonieux. Bien au contraire, nous avons basculé vers un concept où la reprise sans emplois peut paradoxalement vraiment se produire et où les marchés financiers peuvent entrer dans un nouveau cycle qui leur fait faire des profits énormes. Les mesures d’assouplissement monétaire mondiales et les programmes de relance ont encouragé les spéculations sur les profits, tandis que les moteurs de nos économies toussotent en essayant de redémarrer, certains avec plus de succès que d’autres. « Imaginez une file de voitures d’époque au départ d’un rallye, certaines ont plus de succès que d’autres ! », a expliqué M. Roubini la semaine dernière dans le Financial Times pour décrire les principes de ce nouveau concept. Il est clair que cela ne peut pas durer. Comme l’a déclaré Dominique Strauss-Khan à Rome il y a une semaine : « Il n’y aura pas de reprise économique tant qu’il n’y aura pas de reprise de l’emploi! ». Une reprise lente de l’économie réelle implique un coût social et économique, énorme et continu pour chaque communauté. Cela signifie également une baisse des recettes publiques, même si les ministères des Finances et certains fonctionnaires internationaux parlent de « stratégies de sortie », ce qui mettra encore plus de pression sur les ressources publiques.
Ce concept nouveau, et j’ajouterais, indésirable (mettons nous bien d’accord là-dessus), permet en fait de transférer en masse les resources d’un grand nombre vers un petit nombre, les ressources des générations futures vers les générations présentes, ce qui est exactement l’inverse du principe d’une économie mondiale plus forte, plus claire et plus équitable.
Que faire?
Aujourd’hui notre message s’adresse aux gouvernements représentés autour de cette table. Les réponses toutes faites du ministère des Finances ne nous détourneront pas de notre objectif. Il nous faut repenser collectivement le rôle des gouvernements et du marché, et nous devons fournir un effort énorme et concerté pour atteindre une meilleure parité et un équilibre productif et équitable. On constate que dans cet effort concerté, le bon sens éthique et économique vont dans la même direction.
Notre message s’adresse donc à l’OCDE. Votre article se réfère au travail effectué avant la publication intitulée « Objectif croissance » ( Going for Growth). Soyons honnêtes, « Objectif croissance » n’ajoutera pas de valeur à la contribution de l’OCDE à l’effort mondial, ni ne parviendra à changer ce concept indésirable. « Objectif croissance » qui commande les mises à jour des pays n’aidera pas les pays à retrouver l’équilibre qui est fondamental à une reprise durable. L’OCDE s’est bâtie une réputation sur des indicateurs. Mais il ne suffit pas de traiter des chiffres surtout si les chiffres en question sont les mauvais. Prendre comme base de calcul le PIB par habitant ne nous donne pas l’information dont nous avons besoin comme vous l’avez évoqué M. le Secrétaire Général. Ca ne nous donne pas la même information que le salaire moyen qui montre en fait l’augmentation des inégalités sur la durée aux Etats-Unis (qui utilisent le PIB comme référence).
Cependant la participation de l’OCDE est très importante car c’est une organisation qui pourrait être la première à adopter une approche gouvernementale intégrée. L’OCDE est la seule organisation qui ait adopté cette approche. Votre travail sur l’éducation, sur la politique du travail et de l’emploi, sur les migrations, sur la santé et dans bien d’autres domaines encore, donne une valeur supplémentaire aux efforts réalisés par l’OCDE pour mener une politique cohérente. L’OCDE et l’Organisation internationale du travail (OIT) travaillent ensemble pour répondre à l’appel du G20 en faveur des nouveaux besoins en éducation et formation. Le développement humain est essentiel pour retrouver une croissance juste, forte et durable. Il va falloir un esprit ouvert et nouveau et ce sont des acteurs comme nous dont on aura besoin.
Propos finaux
Permettez-moi de prendre quelques minutes pour vous faire part d’une réflexion personnelle. Hier soir, le Directeur général de l’UNESCO qui fêtait son départ en retraite m’a aimablement invité avec ma femme à assister à un concert d’adieu donné en son honneur à l’UNESCO. A un moment, sur fond de musique, on nous a passé un diaporama sur les sites historiques inscrits sur la liste du patrimoine mondial qui se trouvent entre l’Europe et l’Asie, le long de l’ancienne Route de la soie. Et là, sur une belle musique de fond, ont défilé sur l’écran géant tous les vestiges témoins de la naissance et de la chute des civilisations. Ces civilisations ont elles aussi dû faire face à une révolution des concepts. En général, il y a eu des signes avant-coureurs. En général, ces signes ont été souvent ignorés. Parfois il y a eu des civilisations suffisamment éclairées pour anticiper, s’adapter et survivre mais la plupart se sont éteintes ! Cela fait réfléchir, n’est-ce pas ?
Je vous remercie.
[FIN]
Bob Harris est Consultant auprès du Secrétaire général de l’IE et président du groupe de travail sur la politique de l’éducation, de l’emploi et de la formation de la CSC auprès de l’OCDE. Il a également représenté l'Internationale des services publics (PSI) et le Congrès australien des syndicats (ACTU).