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Internationale de l'Education
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Gros Plan sur Ambet Yuson (Inde-IBB): « Nous avons retiré du travail 15.000 enfants… et quadruplé nos membres »

Publié 28 novembre 2007 Mis à jour 28 novembre 2007
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L'Inde est le pays du monde où l'on trouve le plus d'enfants au travail. L'Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB) s'attaque à cette exploitation par une implication des communautés et la construction d'écoles. Ambet Yuson, représentant régional d'IBB en Asie-Pacifique, nous explique cette stratégie syndicale qui a permis à 15.000 enfants de quitter le travail pour l'école, et à certains syndicats d'augmenter leurs effectifs de 400% !.

Comment des enfants se retrouvent-ils dans des activités aussi dangereuses que le travail dans les fours à briques et les carrières ?

Dans ces secteurs, le salaire dépend de la production individuelle du travailleur. Pour les fours à briques par exemple, le revenu dépend du nombre de briques fabriquées. C'est pourquoi les travailleurs adultes amènent toute leur famille pour les aider, y compris les plus jeunes enfants. C'est un phénomène répandu en Inde.

Comment avez-vous commencé à lutter contre cette exploitation ?

Notre premier objectif est d'organiser davantage de syndicats dans ces secteurs. Mais si notre premier message auprès des travailleurs est que leurs enfants doivent arrêter de travailler, ils répondent que le revenu de leur famille diminuera et refusent de s'affilier. Nous avons donc utilisé une autre stratégie. Après avoir affilié les travailleurs, nous avons commencé par négocier collectivement avec les propriétaires des fours à briques sur toute une série de domaines, dont la question clé des salaires. Nous sommes parvenus à faire augmenter ces salaires de 35% en moyenne. Nous retirons alors les enfants des lieux de travail pour les amener à l'école. Cette scolarité rend les parents fiers, elle leur donne de l'espoir. Sur les 10 dernières années, nous avons retiré 15.000 enfants du travail.

En plus de la scolarité des enfants et de l'obtention de meilleurs salaires, les travailleurs se réjouissent d'avoir un syndicat qui protège leurs droits, négocient une meilleure santé et sécurité au travail, de meilleures conditions de travail. C'est important car il s'agit de secteurs dangereux : le travail est effectué sous la chaleur du soleil, à pieds nus, sans équipement de protection. Idem pour les carrières de pierre : les travailleurs n'ont pas de chaussures adaptées, ils cassent la pierre sans équipement de protection.

Quelle a été la réaction des employeurs ?

Notre stratégie est holistique. Nous menons des campagnes dans les communautés pour persuader les gens que le travail des enfants n'est pas permis chez eux. Ces campagnes consistent notamment à déclarer un village « sans travail des enfants ». Si un employeur de ce village utilise des enfants, nous mènerons campagne à ce sujet en impliquant toute la communauté. S'il n'est pas d'accord avec l'objectif de la campagne, il devra lutter contre la volonté de toute sa communauté.

Dans certaines régions, nous négocions avec l'association des employeurs de fours à briques au niveau de l'Etat, comme dans l'Uttar Pradesh. Notre prochaine étape sera de déclarer l'entièreté de l'Etat « sans travail des enfants ». Nous devrons œuvrer davantage en ce sens, impliquer plus d'intervenants.

Comment menez-vous ces campagnes dans les villages ?

Les campagnes sont relayées par nos membres, qui sont issus des villages. Nous leur distribuons du matériel de campagne, nous les conseillons individuellement, … Ce sont des membres expérimentés, qui ont eux-mêmes vécu ces situations. Ils vont ensuite trouver les autres et leur expliquent comment eux-mêmes ont procédé.

Que se passe-t-il s'il n'y a pas d'école dans le village ?

S'il n'y a pas d'école publique, nous construisons une école nous-mêmes. Jusqu'à présent, nos syndicats ont construit environ 30 écoles en Inde. Entre 5.000 et 7.000 enfants sont passés par ces écoles au cours des dix dernières années. Nous avons aussi des écoles de transition qui préparent les enfants qui ne sont jamais allés à l'école à suivre un enseignement plus général. Certains ex-enfants travailleurs ont déjà terminé le cycle primaire, nous les dirigeons alors vers les écoles publiques du niveau supérieur.

Nous nous sommes posé la question de savoir si c'est le rôle d'un syndicat de s'impliquer dans la construction et la gestion d'écoles. En réalité, ce n'est pas notre rôle mais celui du gouvernement de fournir un enseignement de base. Mais les écoles que nous fournissons ont une vocation « intérimaire », nous menons ensuite campagne auprès du gouvernement pour qu'il prenne en charge les écoles. Dans l'Etat du Pendjab par exemple, sept de nos écoles ont été reprises par le gouvernement. C'est un succès pour les syndicats : le gouvernement n'avait pas d'écoles dans ces villages, mais nous les avons mises sur pied et après nos campagnes de lobby, les autorités les ont pris en charge, ce qui nous réjouit. Notre stratégie est donc une combinaison de travail syndical, d'implication des communautés et, en bout de course, de prise en charge par le gouvernement.

Comment financez-vous ces écoles ?

Nous ne construisons pas de grandes écoles très modernes. Nous utilisons ce qui est disponible dans la communauté, même si ce n'est qu'un abri de fortune que nous améliorons. Les membres d'IBB de beaucoup de pays (en Europe, aux Etats-Unis, en Asie) nous aident à soutenir ce programme. Une somme de 30 Euros permet d'envoyer un enfant durant une année dans l'une de nos écoles. Nous demandons donc à nos membres de nous soutenir, mais encore une fois, ce n'est que temporaire : notre objectif est que le gouvernement assume cette charge à la fin.

Offrez-vous de l'argent ou de la nourriture aux familles qui acceptent de laisser leurs enfants quitter le travail pour aller à l'école ?

Non. Ceci dit, quand les enfants vont à l'école, ils y reçoivent à manger. Cette alimentation est fournie soit par nous, soit par des subsides de certains gouvernements locaux. Certaines autorités fournissent aussi une allocation aux enfants des castes inférieures s'ils vont à l'école. Dans certains cas, nous demandons aussi aux parents de payer une petite somme, ou de contribuer au projet en cuisinant pour les enfants qui vont à l'école. Notre approche n'est donc pas uniquement syndicale, c'est toute la communauté qui est impliquée.

Le gouvernement ne devrait-il pas aussi punir les employeurs d'enfants ?

Le secteur des fours à briques est assez informel. Une entreprise peut fermer et ouvrir ailleurs. L'idée est donc d'impliquer les patrons dans un dialogue, de les pousser à l'engagement qu'ils n'emploieront plus d'enfants. L'Inde abrite le plus grand nombre d'enfants travailleurs, c'est un défi énorme pour son gouvernement. Celui-ci a une politique en faveur d'un enseignement de base, mais il répond toujours qu'il n'a pas suffisamment de fonds pour construire davantage d'écoles. Il y a vraiment beaucoup de villages qui n'ont pas d'école et même s'il en existe une, certaines familles n'y inscriront pas leurs enfants car elles en ont besoin pour contribuer au revenu. Donc, quand vous parlez de faire appliquer les lois par des sanctions…Vous pouvez toujours retirer les enfants du travail, mais ils y retourneront en raison de la pauvreté. Sans s'attaquer à la question de la pauvreté, vous ne pouvez éradiquer le travail des enfants.

En quoi ce genre de programme de lutte contre le travail des enfants renforce-t-il le syndicalisme ?

Parfois, dans certains pays, l'image des syndicats est négative mais ces écoles pour ex-enfants travailleurs confèrent une meilleure crédibilité aux syndicats, même auprès des autorités. Elles aident à leur donner un statut d'intervenant important et crédible. Deux de nos dirigeants ont d'ailleurs reçu un prix (une médaille et un peu d'argent) de l'Etat d'Uttar Pradesh en reconnaissance des services rendus à la population.

Les effets positifs se font aussi ressentir sur les nouvelles affiliations. Sur nos 30 affiliés en Inde, 10 ont des écoles pour les ex-enfants travailleurs, et 5 sont actifs depuis le début du projet, en 1995. Entre 1995 et 2005, ces cinq syndicats ont vu leur nombre de membres augmenter de 400%, grâce à la crédibilité accrue qu'ils ont acquise. De plus en plus de travailleurs ont entendu parler de ces syndicats et veulent s'y affilier. Il y a aussi un effet multiplicateur, de plus en plus de syndicats veulent opérer de la sorte.

Le programme international du BIT pour l'élimination du travail des enfants (IPEC) vous soutient-il ?

Nous avons commencé grâce à un petit fonds d'IPEC en 1995, pour l'Etat du Bihar. Ca a bien fonctionné et beaucoup de syndicats ont alors accepté de nous soutenir ensuite. Nous pouvons faire beaucoup avec de petites sommes.

Essayez-vous de reproduire ces campagnes dans d'autres pays ?

Nous avons commencé au Népal avec la même approche, mais nous devons nous adapter. Au Népal, ceux qui travaillent dans les fours à briques sont des migrants. Durant la saison sèche, ils sont présents et les enfants peuvent aller à l'école, mais durant la saison humide, ils sont retournés chez eux, nous devons donc mieux travailler avec les communautés. Nous avons aussi d'autres projets pilotes en Amérique Latine et en Afrique.

Nous allons organiser une conférence internationale en Inde les 20 et 21 février 2008 concernant les syndicats et le travail des enfants, pour montrer notamment à quel point nous pouvons être efficaces dans ce domaine. Elle sera organisée avec d'autres partenaires du groupement Global Union. Cette conférence mondiale ne se limitera pas à parler uniquement entre nous mais aussi à différents intervenants afin de voir comment nous pouvons mieux coopérer pour abolir le travail des enfants.

Propos recueillis par Samuel Grumiau

Cet interview a été fait par la Confédération syndicale internationale (CSI). Pour l'article original, veuillez cliquer sur le lien ci-dessous.