La tâche n'est pas évidente et les efforts doivent être inlassablement recommencés, pourtant Nadia Georgiova, enseignante bulgare, ne voudrait pour rien au monde quitter l'école n°7 de Sliven.
L'école n°7 de Sliven, à 270 km à l'Est de la capitale Sofia, est fréquentée par 1.250 élèves, tous roms ou presque. Les 700.000 Roms de Bulgarie représentent 8,9% de la population, et comme dans tous les pays de la région, leurs performances scolaires sont inférieures à la moyenne nationale.
Selon des chiffres des Nations Unies pour la Bulgarie, trois Roms adultes sur cinq sont sans emploi et la moitié des Roms vit sous le seuil de pauvreté. En 15 années de transition vers la démocratie et l'économie de marché, l'analphabétisme des Roms adultes a doublé (le taux moyen est de 20%) et sévit davantage que chez leurs aînés.
Maintenir le contact Pour tenter d'enrayer ce phénomène, les titulaires de classe de l'école n°7 ont pris l'initiative de visiter le quartier rom le plus souvent possible. Une fois par semaine, Nadia Georgiova va à la rencontre des parents roms pour les encourager à scolariser leurs enfants, pour les convaincre de laisser revenir ceux qui ont décroché de l'école, ou simplement pour prendre des nouvelles et mieux appréhender leurs problèmes. "Des liens de confiance se tissent. Aujourd'hui, parmi les mères rencontrées, il y avait l'une de mes premières élèves. Elle m'a promis que ses enfants viendraient à l'école", explique Nadia avec le même sourire radieux qu'elle affichait tout à l'heure lors de ses rencontres avec des familles roms.
Nadia travaille depuis une vingtaine d'années dans cet établissement et ne souhaite pour rien au monde travailler ailleurs. Elle concède que beaucoup de jeunes enseignants craquent après quelques semaines, elle les comprend. "C'est vrai qu'on a parfois l'impression de construire sur du sable: on travaille d'arrache-pied avec un groupe d'enfants et au moment où on sent poindre des résultats, la moitié d'entre eux disparaissent pendant plusieurs semaines. Beaucoup de Roms travaillent comme saisonniers et ils emmènent leurs enfants. Actuellement, c'est la saison des cerises qui commence. Alors, on négocie avec les parents, par exemple, on procède aux révisions et aux tests avant qu'ils partent. Les filles représentent un autre défi. A 12, 13 ans, les parents les retirent souvent de l'école parce qu'ils veulent maintenir sur elles un contrôle social complet, en arrangeant eux-mêmes les mariages."
Mais Nadia souligne aussi les aspects gratifiants de son travail: "Je me sens connectée à la vraie vie, avec l'obligation de répondre à leurs attentes. Cela demande beaucoup d'investissement et de débrouillardise. J'ai souvent l'impression d'assumer plusieurs fonctions en même temps: enseignante, psychologue, aide-soignante, etc. En classe, se pose le problème de la langue. Pour l'instant, il n'y a pas d'enseignant rom, c'est dommage. Une collègue parle turc, c'est déjà ça. Les plus jeunes ne connaissent pas le bulgare. Au début, il faut se faire assister par un élève plus âgé pour se faire comprendre. On doit aussi composer avec les rivalités entre groupes et sous-quartiers. Des parents de groupes antagonistes n'aiment pas que leurs enfants soient en classe ensemble. C'est dur, mais j'aime ces défis. Et au bout du compte, quelle récompense quand on les voit terminer le cycle complet avec un solide bagage."
L'équipe de pédagogues puise aussi son énergie dans la cohésion du groupe. Le dialogue est constant entre les enseignants, les expériences s'entrecroisent, les méthodes se peaufinent. L'équipe se félicite de l'instauration d'une classe préparatoire entre la maternelle et l'école primaire. "C'était une vieille revendication syndicale, ajoute Mitto. La mesure est d'application depuis deux ans dans toutes les écoles. Mais ici, cette année supplémentaire était vraiment indispensable pour faciliter l'intégration des petits".
Les fédérations d'enseignants regroupent l'essentiel des enseignants et du personnel des écoles. Cela leur donne une légitimité pour initier des débats importants au niveau national. Les syndicats d'enseignants ont mené un lobbying aussi intense qu'efficace pour permettre notamment l'adoption en 2003 de la Loi sur la protection contre la discrimination. Au quotidien, les syndicats travaillent aussi avec une quarantaine d'organisations roms et ils encouragent le type d'initiatives prises par les enseignantes et enseignants de l'école n°7.
Mitto Mitev éprouve de l'amertume en voyant le décalage entre les paroles et la réalité du terrain, c'est-à-dire des conditions de vie qui se détériorent chez les Roms et la prolifération des préjugés et de la xénophobie dans toutes les couches de la société. Mitto sait que son école est menacée, parce que considérée comme ségrégationniste. "Je dirige une école de quartier où ne vivent que des Roms. Moi je propose de prendre le problème dans l'autre sens: faisons en sorte que le niveau de cette école soit le plus haut possible et attirons-y des enfants non roms. Dans les programmes d'intégration, les parents roms sont 'encouragés' à inscrire leurs enfants dans des classes d'intégration. On leur fait miroiter des avantages, comme la navette scolaire, des dons de vêtements, etc. La vérité, c'est qu'on ne leur laisse pas vraiment le choix. Mais les enfants roms de 7 ou 8 ans qui sont inscrits dans ces classes d'intégration sont angoissés, ils ne maîtrisent pas la langue bulgare, occupent les derniers rangs. La suite, c'est au mieux le retour dans une école comme la nôtre. Et au pire, la fin d'une scolarisation à peine entamée."