« Un programme de cours excellent, des évaluations adéquates et des enseignants bien formés et soutenus » dans les écoles, tels sont les thèmes essentiels du travail de l’IE. C’est ce que Susan Hopgood, la Présidente de l’IE, a souligné à l’occasion de la Conférence 2013 de l’IE à l’intention des affiliés des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui s’est tenue à Londres (Royaume-Uni), les 29 et 30 janvier. La conférence était placée sous le thème « Concevoir l’éducation pour le bien public ».
Mme Hopgood a déclaré devant les 140 participants venus de 24 pays que le Congrès mondial de l’IE en 2011 avait décidé d’instituer une commission consultative pour la coopération avec l’OCDE.
« L’une des principales recommandations de cette commission a été que nous organisions une conférence qui traduise l’importance égale de l’IE et de l’OCDE dans le monde de l’éducation. La commission nous a conseillé de profiter de cette conférence pour établir des relations productives et proactives avec l’OCDE sur des sujets essentiels à ses travaux sur l’éducation. »
Reconnaissant le travail déjà accompli lors de conférences IE/OCDE, Mme Hopgood a ajouté : « Cette année, la grave crise financière que traversent de nombreux pays dans le monde a renforcé l’importance de la conférence. Elle nous donne l’occasion de faire précisément ce que contient son intitulé : "Concevoir l’éducation pour le bien public".
L’enseignement public faisant l’objet d’attaques de tous côtés, où concevoir positivement l’éducation pour le bien public mieux qu’ici, à Londres, au Trade Union Congress, une centrale syndicale comprenant la grande majorité des syndicats de la fonction publique ? »
Menaces sur l’éducation
Frances O’Grady, Secrétaire générale du Trade Union Congress britannique, a expliqué que la privatisation accrue et l’austérité persistante représentent une menace énorme pour l’éducation.
« Alors que l’éducation est de plus en plus privatisée et soumise à l’esprit de lucre, nous devons faire entendre notre voix pour défendre une éducation de qualité, financée par des fonds publics, publiquement responsable et accessible à tous », a-t-elle déclaré.
« Les forces de la concurrence économique mondiale et les intérêts des entreprises multinationales forgent chaque jour davantage l’éducation que nos jeunes reçoivent et nous devons résister à la commercialisation insidieuse de ce qui est enseigné dans nos écoles, nos collèges et nos universités ».
L’éducation n’est pas uniquement une question de compétitivité économique, aussi important que soit cet élément. « Plus fondamentalement, c’est une question d’enrichissement humain, du pouvoir qu’a la connaissance de transformer les vies et de la beauté de l’apprentissage lui-même, de sorte que chaque enfant, chaque jeune, chaque adulte ait la chance d’exploiter son vrai potentiel dans la vie ».
Mme O’Grady a également affirmé que les salles de classe devraient être un lieu d’apprentissage et non une source de profit pour des actionnaires et que les syndicats enseignants doivent résister aux tentatives des gouvernements de créer une nouvelle ère, dans laquelle les écoles seront gérées par des entreprises qui ne cherchent qu’à faire rapidement de l’argent pour leurs actionnaires.
Et d’ajouter, « bien sûr, nous voulons des écoles, des collèges et des universités disposant de ressources financières et une bonne éducation accessible à tous, indépendamment de l’origine, de la condition sociale ou de la richesse. Mais nous voulons aussi que nos éducateurs soient bien traités, justement rémunérés et respectés pour le travail qu’ils font ».
Valeurs de l’éducation
Fred Van Leeuwen, Secrétaire général de l’IE, a indiqué que la participation sans précédent à une conférence conjointe IE/OCDE « est non seulement le signe d’un degré élevé d’engagement, mais aussi de la pertinence et de l’importance du thème de notre conférence "Concevoir l’éducation pour le bien public" ».
Les « valeurs de l’éducation publique sont essentiellement les valeurs qui sous-tendent la démocratie et notre prospérité », a-t-il dit. « Elles recouvrent les principes d’équité et d’égalité des chances, de non-discrimination et de justice sociale.
À cet égard, il est intéressant de noter qu’au cours des deux dernières décennies, la stratégie en matière d’éducation n’a pas été élaborée par l’organisation créée dans ce but précis, l’UNESCO, mais bien par la Banque mondiale, le principal émetteur de prêts en faveur de l’éducation, et par l’Organisation de coopération et de développement économiques ».
Privatiser n’est pas la solution
M. Van Leeuwen a appelé les participants à revenir aux fondamentaux, à cesser d’être sur la défensive et à réaffirmer pourquoi l’éducation publique joue un rôle si important dans chacune de nos sociétés et pourquoi elle ne peut pas être sous-traitée au secteur privé. « Nous devons clairement faire comprendre à nos dirigeants politiques que la privatisation et la commercialisation de l’éducation ne sont pas la solution », a déclaré M. Van Leeuwen.
Il a également observé que les ressources pour financer l’éducation existent, mais que cela requiert une volonté et un courage politiques de la part des dirigeants mondiaux et que le simple transfert d’idées du monde des entreprises à l’éducation ne fera pas progresser la qualité des systèmes d’enseignement.
« Améliorer la qualité de l’éducation au niveau national nécessite simplement un investissement massif dans l’ensemble de la profession enseignante, dans la formation initiale des enseignants, dans leur perfectionnement professionnel et, effectivement, aussi dans leurs salaires et dans leurs conditions d’emploi », a-t-il expliqué.
« Il n’y a pas moyen de contourner cette réalité et il n’existe pas de raccourci, comme une rémunération basée sur les résultats des élèves. Car rien ne prouve qu’un salaire lié aux performances individuelles améliore le niveau professionnel. En revanche, cela accroît l’anxiété et les tensions dans la salle des professeurs ».
Sept menaces
Présentant la déprofessionnalisation comme l’un des principaux défis auxquels le secteur de l’éducation doit aujourd’hui faire face, M. Van Leeuwen a énuméré sept facteurs qui constituent une menace sérieuse pour l’avenir de la profession enseignante et sa capacité à assurer un enseignement de qualité :
- l’arrivée d’enseignants non qualifiés,
- la précarisation de l’enseignement,
- l’écart croissant entre le salaire des enseignants et la rémunération dans d’autres secteurs,
- la limitation de l’autonomie des enseignants,
- la diffusion rapide de tests normalisés,
- (des systèmes mécaniques d’)évaluation des enseignants représentant un enjeu élevé,
- l’introduction insidieuse de pratiques de gestion du secteur privé dans les établissements d’enseignement.
Il est vital de maintenir un dialogue bidirectionnel avec l’OCDE, a souligné M. Van Leeuwen. Les études et les enquêtes de la Direction de l’éducation de l’OCDE sont attendues avec impatience par les gouvernements. « Quel que soit notre avis sur les politiques et la recherche de l’OCDE, nous ne pouvons nier l’influencer qu’a cette organisation sur nos systèmes éducatifs. »
Terrains d’entente avec l’OCDE
Selon M. Van Leeuwen, il existe deux domaines cruciaux sur lesquels l’IE est d’accord avec l’OCDE. « Tout d’abord, nos deux organisations pensent que pour qu’un pays connaisse la prospérité sociale et économique, tous ses enfants et ses jeunes doivent bénéficier d’une éducation de qualité. Et toute sa population adulte doit avoir droit à un enseignement et à une formation pour adultes. »
« Le second terrain d’entente est peut-être moins évident. D’aucuns pensent que la seule manière de sortir de la crise économique est de déréglementer massivement l’économie, de supprimer les protections et l’aide sociale, en creusant les inégalités. Par l’accent qu’il met sur la nécessité d’une gouvernance économique transparente et d’une éducation de qualité pour tous et sur l’importance d’une consultation avec les salariés, je ne pense pas que l’OCDE fasse partie de ce camp. »
L’heure est capitale pour l’avenir de l’éducation, estime M. Van Leeuwen. « Nous ne devons pas laisser l’éducation ne plus être une priorité majeure pour nos gouvernements. Notre travail est d’insister sur le message primordial selon lequel sans une éducation de qualité pour tous, dotée de ressources adéquates, la société elle-même sera profondément affectée. »
Importance des compétences
S’exprimant en séance plénière sur les « Défis et opportunités pour l’éducation dans les pays de l’OCDE », le Directeur adjoint de la Direction de l’éducation de l’OCDE, Andreas Schleicher, a déclaré que les compétences sont devenues la monnaie du XXIe siècle.
« Elles changent la vie et stimulent les économies. Le programme PISA [Programme d’évaluation internationale des élèves] pour adultes met en évidence leur impact manifeste. La confiance dans la société est fortement liée au niveau de compétences et l’engagement politique est capital. »
Les systèmes éducatifs les plus développés n’éliminent pas nécessairement le chômage et la pénurie de salariés, a-t-il dit. L’important est d’apprendre la bonne combinaison de compétences, d’utiliser les bonnes compétences et de savoir comment financer l’éducation.
M. Schleicher souligne que l’éducation est sous pression : « La nature des compétences a changé. On assiste à une diminution considérable des compétences cognitives de base, pour la plupart enseignées traditionnellement. La reproduction du contenu de la matière et les tests composent toujours l’essentiel des programmes. Des compétences non routinières, analytiques et interactives devraient les remplacer. »
La plupart des pays ont maintenu l’investissement dans l’éducation durant la crise, grâce à des efforts considérables des gouvernements, a-t-il déclaré.
« D’un type d’enseignement contraignant à une approche centrée sur l’apprenant, interactive, diversifiée et générée par l’utilisateur. Qu’attendons-nous ? Un véritable engagement des élèves dans l’apprentissage. L’un des principaux obstacles est le fait que l’on aime les sciences au début, mais qu’on les déteste à l’âge de 15 ans. »
M. Schleicher a également déclaré que l’apprentissage tout au long de la vie est capital, parce que ce que nous apprenons à l’école aujourd’hui sera obsolète dans 10 ans.
Rôle central des enseignants
M. Schleicher a expliqué que la prochaine étude PISA évaluera les compétences collaboratives et a indiqué que l’OCDE estime que les enseignants sont essentiels. « En Finlande, l’enseignement est la deuxième profession la plus recherchée, pas nécessairement en raison de la rémunération qui y est liée. La profession est extrêmement populaire et l’a toujours été. Elle est intellectuellement attrayante et l’autonomie qu’elle apporte est appréciée. »
À Singapour également, l’enseignant est un expert dans une matière, mais aussi en pédagogie et en contact avec les élèves. Tout comme en Finlande, la formation des enseignants est capitale à Singapour.
L’OCDE souhaite également que les enseignants soient les moteurs de la profession. Au Japon, une réduction d’un tiers du programme a donné beaucoup plus de liberté aux enseignants. En Suède, les enseignants réfléchissent à leur pratique tous les jours et travaillent dans des environnements extrêmement collaboratifs. À Singapour, les autorités ont posé des choix de financement intelligents et ont développé de grandes classes avec des enseignants motivés et de la technologie. Les enseignants ont besoin d’espace pour concevoir, diriger, gérer et organiser les environnements d’apprentissage, comme à Shanghai, en Chine.
Réalité de la réforme et conflit
Compte tenu des incertitudes de la société, les parties prenantes apprécient le statu quo, a souligné M. Schleicher. « Pour que les réformes donnent des résultats, les décideurs doivent élaborer un consensus, avoir des attentes réalistes, soutenues par un financement, de la recherche et des données factuelles. Les conflits avec les syndicats peuvent être résolus lorsque les syndicats sont forts et impliqués. »
M. Schleicher a également observé qu’« il existe une dichotomie entre le passé et le présent : peu contre tous, compétences de base contre apprentissage tout au long de la vie, organisation du travail fordiste contre innovation et responsabilité vis-à-vis des pairs et des parties prenantes et non vis-à-vis des gouvernements. »
Dans l’après-midi, les participants se sont répartis en groupes placés sous différents thèmes : « L’avenir de la profession enseignante », « Les classements des universités et de l’enseignement supérieur », « Soutenir les étudiant(e)s défavorisé(e)s – Équité et qualité de l’éducation » et « Évaluation et estimation – élèves, enseignants, établissements et systèmes d’enseignement ».